Chapitre 16

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J’étais en retard. Les autres devaient déjà être arrivés. Pas de temps pour un café, tout juste celui de fourrer en vrac dans mon sac à dos les documents imprimés la veille. Mon état de concentration, proche du zéro absolu, m’avait empêché de les lire. J’étais tout juste parvenue à composer le numéro de téléphone d’hôtels situés à pas moins de 40 km du ranch et articuler les trois mots nécessaires pour la réservation d’une chambre.

J’avais passé une nuit cauchemardesque, à tourner et retourner dans tous les sens notre fin de soirée. Résultat, j’avais une tête à faire peur, et un horrible marteau piqueur me martelait le crâne.

Mais bon, ce n’est pas moi qui l’ai embrassé quand même !

Remarque idiote. Ce fut encore plus dépitée et démoralisée que je refermai pour la dernière fois, la porte de ma chambre…

J’entrai dans le baraquement sous le regard scrutateur de sept paires d’yeux masculins. L’horreur totale ! Je m’empourprai de façon tellement immédiate que je crus un instant frôler la combustion spontanée. Je m’excusai pour mon retard et levai les yeux vers Mark, pour les baisser immédiatement. Le regard noir et méprisant qu’il me lança ne m’incitait pas à le défier. Moi qui lui disais que j’étais habituée à des choix beaucoup plus tranchés, eh bien ! j’étais servie. Je tentai de me concentrer sur les paroles de Max, chassant au passage le visage de Mark de mon esprit et sa présence à quelques pas de moi.

Il ferait bientôt jour. Max désirait, avant notre départ, nous familiariser avec le maniement d’un fusil. Nous allions évoluer sur le territoire d’animaux de grandes tailles. Le but n’était pas de faire de nous des tireurs d’élite, mais de nous apprendre à tirer sans nous blesser ni blesser les autres, et accessoirement, que nos tirs soient suffisamment efficaces pour faire fuir les prédateurs. Au cas où…, eut-il la délicatesse d’ajouter. Au point où j’en étais, je pouvais bien me faire dévorer par un grizzli. Il n’apprécierait pas tellement je transpirais l’amertume.

L’air vif me saisit lorsque nous contournâmes le baraquement. Max avait installé sur une barrière en bois, quelques mètres devant nous, plusieurs bouteilles et pots vides. Il me plaça entre les mains une Winchester à double canon en tir d’épaule. Je serais la première à faire les essais et me familiariser avec la carabine et tous avaient les yeux rivés sur moi. Dont deux particulièrement insistants. Adam attendait que je me plante, tandis que Mark… Eh bien, en fait je ne savais pas exactement. Je les ignorai et m’adressai à Max.

— Je déteste toujours autant les armes. Elles sont lourdes et dangereuses.

Adam ne manqua pas de me faire une remarque désobligeante.

— Attention, Calamity Jane… C’est un peu plus viril qu’un Nikon.

La ferme, abruti !

— Elle est chargée, faites attention, me recommanda Max. Placez la crosse…

Je lui coupai doucement la parole et lui adressai un sourire entendu qu’il interpréta immédiatement, me laissant faire. Je plaçai le fusil contre mon épaule, le tenant fermement, et j’ajustai la visée sur la première bouteille. Dans le silence du matin, le bruit de la détonation sembla démultiplié, résonnant longtemps après que le coup fut parti. Le recul me surprit par sa puissance. Je n’étais plus habituée, mais fus heureuse de l’avoir largement surestimée. Une odeur de poudre brûlée me chatouilla les narines, me renvoyant quelques années en arrière. La bouteille vola en éclat. J’abaissai le levier de sous garde et rechargeai avec une balle calibre 30-30 que Max me tendit. Je pivotai, mis en mire une seconde bouteille et tirai. Elle rejoignit à son tour, les débris de la première.

L'ombre D'une AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant