Chapitre 27

120 14 0
                                    

Nous sortîmes du village et nous dirigeâmes vers le nord, rattrapant ainsi la 89. Mark suivit les indications données par le ranger. Ayant pourtant emprunté cette route étant enfant, je ne reconnus absolument rien ; j’avais uniquement un ressenti particulier. Comme si tout me paraissait, plus… ordonné, moins dépouillé, mais aussi plus sombre.

— C’est étrange… Je me souviens être sortie des cabins pour prendre des photos, mais je suis incapable de me souvenir de quoi que ce soit d’autre.

— Peut-être parce que c’est que l’on vous a toujours suggérée. Vous l’avez assimilé comme étant une certitude depuis toutes ces années.

— C’est possible, vu que je ne quittais jamais mon appareil.

— L’aviez-vous avec vous lorsque l’on vous a retrouvée ?

Je lui lançai un regard mêlé d’étonnement et de désappointement.

— Je n’en sais strictement rien. Pourquoi cette question ?

— Elle m’a simplement traversé l’esprit.

— Au moins, vous posez des questions. Je n’ai pas l’impression de vous être très utile.

À mesure que nous approchâmes, j’étais en proie à d’étranges contradictions. D’un côté, j’étais fébrile, terriblement nerveuse, de scruter les environs. D’un autre, je me sentais prête à exploser. Une colère sourde qui grandissait à mesure que nous approchions. Lorsque Mark gara la voiture sur le bas-côté, j’attendis à peine qu’il l’ait stoppée pour m’en extraire. Il prit ma précipitation pour les prémices d’un nouveau malaise, et me rejoignit aussitôt. J’avais beaucoup de mal à respirer avec ce sentiment de ne plus rien contrôler. Le sang battait à mes tempes. Je n’entendais que lui, lancinant, assourdissant. Je me laissai glisser contre la voiture pour me retrouver accroupie, les mains posées de chaque côté du crâne, comme si je voulais l’empêcher d’exploser. Mark m’attrapa doucement, mais assez fermement les poignets pour repousser mes bras, me libérant de cette prison invisible dans laquelle je m’enfonçai. Je résistai et fermai les yeux.

— Samuelle ! Regardez-moi ! Vous ne craignez rien ! Seuls les processus sont restés. La situation d’origine a changé, le danger a disparu. Vous n’êtes plus en 1996. Je suis avec vous aujourd’hui.

J’absorbai ses paroles et me servis de sa voix, de ses mains pour repousser mes démons et je me relâchai. Ses mains quittèrent les miennes pour se poser en corolle autour de mon visage. Une fois de plus, la tendresse et la détermination que je pus lire sur son visage me touchèrent. Il m’aida à me relever, mais je restai appuyée contre la voiture, le temps de récupérer un tant soit peu.

— Je suis tellement en colère, vous savez. Contre moi, contre les autorités, contre le chef Thomas, contre mes parents ! Ils auraient pu faire quelque chose. Ils auraient pu ne pas s’arrêter là. Ils auraient pu retrouver Melinda !

— Je comprends votre colère. S’ils avaient poussé plus loin leurs investigations, peut-être auraient-ils découvert plus qu’ils ne pensaient. Cela aurait pu influencer le déroulement des événements. Mais tout ceci reste dans le domaine de la supposition.

— Ils n’ont rien fait… Rien du tout. Ils ont tous pensé à leurs intérêts…

L’effet de la colère annihila celui de ma peur, ou inversement, je ne savais plus. Ma colère m’abandonna progressivement, ma peur s’éloigna. Je me retrouvai au milieu d’une zone blanche émotionnelle, où plus aucun sentiment ne m’atteignit. Une coquille vide, sans envies, sans rien. Et tout aussi soudainement, je m’extrayais de cette zone, pour me retrouver propulsée sur un territoire plus effrayant que le néant, ressentant ce sentiment terrible d’impuissante et de solitude. Mark devina mon désarroi et m’enveloppa de ses bras dans un geste de réconfort. Ma tête contre sa poitrine, il me parla, sa main effleurant mes cheveux, mes épaules, et il réussit à créer une bulle dans laquelle je me sentis en sécurité.

L'ombre D'une AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant