Les accotements s’apparentaient à un champ en friche, décharnés et ravagés. L’herbe était brûlée par le froid et la neige de l’hiver. Tout respirait la désolation. Même les arbres ne ressemblaient plus à rien et avaient perdu de leur magnificence. Un lieu où il était facile d’imaginer que la mort rôdait et pouvait vous faucher à tout moment. Le genre d’endroit où il m’était tout aussi difficile de concevoir que l’on puisse y vivre. Pourtant, au détour d’un virage, toute cette désolation disparut pour laisser place à un spectacle grandiose, d’eau, de terre, de feu, de gaz. Le lac, pris entre ciel et terre, nous renvoyait un panel de couleur, passant du bleu cobalt au vert émeraude. Les montagnes enneigées, que l’on distinguait en toile de fond, formaient les bords de la Caldeira. Je surpris le sourire rassuré de mon patron devant mon ébahissement et pendant les vingt minutes qui suivirent, la voiture ne tendit à rien d’autre que d’atteindre son but.
Je pouvais à présent poser les yeux sur ce qui m’entourait sans sentir cette panique qui m’avait paralysée si souvent. Hier encore je ne me serais jamais cru capable de franchir toutes ces étapes. Ce matin, je m’y étais préparée, et cet après-midi, je les avais affrontées non sans avoir pris conscience que mon patron y était pour beaucoup. Maintenant, je contemplais mon environnement, pour ainsi dire, sereinement, même s’il me fallait du temps pour me l’approprier totalement. Des années durant, je m’étais sentie en danger, car j’ignorais tout de mon histoire. Ma peur et mes phobies s’étaient nourries de ces silences, et de me retrouver au cœur même du village qui avait été le témoin de mon enlèvement me fit un drôle d’effet. Déroutant. À la fois fébrile et impatiente de rencontrer le shérif Thomas, qu’il me donne enfin les réponses que j’attendais tant.
— Je ne savais pas que les bureaux de police faisaient aussi office de restaurant ? lançai-je, un sourire en coin.
La bâtisse avait un charme propre à elle-même. La surenchère de figurines comme les raquettes, ou la vielle paire de ski de bois étaient accrochées aux murs extérieurs et donnaient à l’ensemble du bâtiment un air loufoque sans toutefois être ridicule.
— Parce que vous auriez accepté de vous arrêter ? répliqua-t-il sur le même ton.
— Absolument !
— Encore un de vos compromis ? On fait une pause de deux minutes et on repart illico pour six heures de course effrénée.
Je plantai mes yeux dans les siens avec une note de défi.
— Pas du tout. Je meurs de faim !
Il attendit un instant et son demi-sourire finit de s’épanouir.
Le village n’était pas très grand, mais équipé pour accueillir au mieux les touristes. Les bâtiments qui formaient la ville étaient restés dans l’esprit « montagnard et Cow-boy ». Nous étions passés devant des cabins, ces baraquements faits de bois et aménagés avec tout le confort, en petits appartements de vacances. Les mêmes que mon père et moi occupions chaque année. Le village avait un charme incontestable. Il s’en dégageait une ambiance légèrement bohème, d’où l’on se laissait vivre au gré de ses envies. Un endroit ou tous les marqueurs qui régissaient notre vie étaient restés aux portes de la ville. Jamais, à le voir ainsi, on n’aurait pu soupçonner qu’il renfermait mes plus grandes blessures. Mark me tenait la portière, et sans même me poser la question, il comprit instantanément qu’il me fallait un peu de temps.
— Voulez-vous que l’on ressorte du village ?
Je fermai les yeux et inspirai profondément.
— Sûrement pas ! J’ai bien affronté Zeus et Apollon, alors tout ça, dis-je tout désignant le village d’un mouvement circulaire du bras le village, à côté n’ont qu’à bien se tenir.
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L'ombre D'une Autre
Любовные романыAvril 1996. Deux fillettes de neuf ans disparaissent à quelques heures d'intervalle. Melinda, dans l'état du Montana. Samuelle, dans celui du Wyoming. Seule Samuelle sera retrouvée quatre jours plus tard. Amnésique et souffrant de profondes contusio...