Le réveil fut douloureux. J’avais passé une nuit cauchemardesque, peuplée de rêves étranges dont je ne me souvenais pas vraiment. Ce dont je me rappelais, c’est ce sentiment de mal-être et de terreur qu’ils avaient provoqué. Et cet affreux marteau piqueur qui me résonnait dans le crâne. Le reflet du miroir de la salle de bain me renvoya l’image d’une aliénée, les cheveux hirsutes, les yeux rouges et gonflés.
Eh bien ! Va y avoir du boulot pour retrouver un semblant de visage humain !
Je ne pouvais décemment pas me rendre chez Martha dans cet état sans qu’elle se pose des questions. Comment lui dire que ma soirée avait été un désastre ? Que son petit ange s’était transformé en démon, et que je m’étais extirpée d’un enfer glacé en rampant.
Nous étions le premier jour d’un long week-end et je commençais amèrement à regretter mon choix. Je devais absolument m’éloigner de cette maison et préférais aller m’installer à l’autre bout du ranch s’il le fallait, rien que pour l’éviter.
J’atteignis la dernière marche lorsque le cliquetis des ongles des pattes de Zeus et Apollon sur le carrelage me parvint. Ce qui signifiait qu’une chose. Monsieur Je Veux Tout Contrôler se trouvait dans un périmètre beaucoup trop proche. Mon sang ne fit qu’un tour et je me précipitai vers la sortie.
Mes clés !
Pas question de faire demi-tour. Je claquai la porte en m’enfuyant comme une voleuse, au moment même où il apparut dans le hall d’entrée.
Le souffle court, j’arrivais chez Martha. Rien que la vue de la maison, ses petits rideaux aux fenêtres, les jolis parterres de fleurs, ralentirent les battements de mon cœur et calmèrent ma respiration. Je la connaissais par cœur. Je pouvais, les yeux fermés, décrire chacun de ses murs, chaque défaut dans le bois, chaque marque, chaque strie, chaque variation de couleurs.
Je connaissais cette balancelle en bois blanc sous le porche. Je connaissais son grincement lorsqu’elle retrouvait sa position initiale. Je connaissais la petite cale de bois bloquant les roulements pour éviter aux jumeaux de se coincer les doigts.
Je frappai discrètement, mais seul un silence me répondit. Je décidai de l’attendre et m’installai sur la balancelle, écouteurs sur les oreilles, en priant pour que mon tortionnaire ne se pointe pas d’ici le retour de Martha.
Perdue dans mes pensées, je laissais mon regard s’égarer. La vue était toujours aussi exceptionnelle. Le soleil traversait les cumulus de ses rayons, striant le ciel. Les montagnes semblaient avoir pris une teinte bleutée, légèrement voilée. Une douce brise pointait. Je respirai ce silence. Seul le léger bruissement des feuilles se faisait entendre. D’ici, je devinai la maison de mon patron. Elle n’avait réellement rien à voir avec les traditionnels ranchs. Hier, il me promettait de me raconter son histoire. Aujourd’hui, je doutais qu’il eut envie de me raconter quoi que ce soit, et moi d’entendre ne serait-ce qu’une seule de ses paroles. Son comportement de la veille m’avait blessée. Le pire était d’en ignorer les raisons, et cette même ignorance me dévorait. Comme elle le faisait depuis mes neuf ans.
Le bruit d’un 4 x 4 me tira de ma rêverie. Je m’amusai à voir Martha, petit bout de femme, sortir d’un si gros véhicule.
— Bonjour, Martha. Donnez-moi tout ça, je vais vous aider à porter vos paquets.
— Bonjour, Sam. Je pensais que vous étiez repartie, s’étonna-t-elle.
Je lui donnais la même réponse que j’avais faite à Mark la veille.
— Et puis, je ne serais jamais partie sans venir vous dire au revoir. Je préfère rester et venir vous voir si vous le permettez.
— Bien sûr que vous êtes la bienvenue. J’avoue qu’une touche féminine dans ce ranch n’est pas un luxe. Mais vous n’avez pas de la famille ?
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L'ombre D'une Autre
RomansaAvril 1996. Deux fillettes de neuf ans disparaissent à quelques heures d'intervalle. Melinda, dans l'état du Montana. Samuelle, dans celui du Wyoming. Seule Samuelle sera retrouvée quatre jours plus tard. Amnésique et souffrant de profondes contusio...