Anna Cissé
Je ne me suis guère rendu compte que ma conversation téléphonique avec mon bien-aimé m'avait occupée si longtemps. Cet homme me fait perdre toute notion du temps lorsque nous communiquons. Je suppose que certains se demanderont comment une jeune femme de vingt-trois ans peut tomber amoureuse d'un sexagénaire. Pour tout dire, j'ai toujours été attirée par les personnes plus âgées. Cela ne devrait point vous surprendre, car dans notre société contemporaine, nous observons toutes sortes de relations amoureuses : des femmes qui s'éprennent d'autres femmes, des hommes attirés par leurs semblables, des professeurs épris de leurs élèves, des patrons amoureux de leurs employés, et vice versa. Je ne vois donc aucune raison qui pourrait m'empêcher de partager ma vie avec Abdou Karim Ndiaye.
Voilà plus de trois ans que nous résidons dans le même quartier, pourtant je ne l'ai jamais considéré comme un homme de l'âge de mon père. Je suivais ses débats télévisés et j'admirais sa manière d'aborder la politique. Au début, je croyais qu'il ne s'agissait que d'estime, mais j'ai fini par réaliser que j'étais éperdument amoureuse de lui. J'ai tenté de me défaire de ces sentiments, allant jusqu'à fréquenter son fils aîné, Mambaye, dans l'espoir d'oublier ce que j'éprouvais pour son père. En vain.
Lorsque j'ai compris que mes sentiments étaient plus forts que ma volonté, j'ai mis un terme à ma relation avec le fils, tel un objet dont on se débarrasse, pour me rapprocher du père, celui dont j'étais profondément éprise. Je vous en prie, ne me jugez pas. Mambaye, cet être pervers, ne m'inspirait aucun sentiment. Malgré ses efforts pour me retenir à ses côtés, je ne voyais que son père lorsque nous étions ensemble. C'était l'une des raisons de notre rupture, mais ce qui m'a véritablement décidée fut la découverte de sa véritable profession.
Je l'interrogeais fréquemment au sujet de son père, mais sa façon d'en parler trahissait son manque total de respect. Il le qualifiait de fou, de vieillard, de barbare et employait nombre d'autres sobriquets qui me brisaient intérieurement le cœur, bien que je n'en laissasse rien paraître, craignant qu'il ne devine mes véritables sentiments. Cette relation m'a néanmoins permis de m'informer sur tout ce qui concernait sa famille, particulièrement cette femme malfaisante qui lui sert de mère : Adja Rouba Thiam.
L'occasion qui m'a conduite dans les bras d'Abdou Karim Ndiaye fut le jour où il sollicita mon aide pour obtenir une audience auprès du préfet. C'est ce jour-là que j'obtins son numéro de téléphone et que tout commença.
Après quelques mois de relation, il me proposa le mariage, ne souhaitant pas être jugé par la société. Vous n'ignorez pas que notre société porte un regard réprobateur sur les hommes qui fréquentent des femmes de l'âge de leurs filles. Lorsque j'en informai ma famille, ma mère et mes frères s'y opposèrent fermement ; seul mon père se rangea de mon côté. Fort heureusement, en tant qu'élément essentiel de cette union, il parvint à convaincre ma mère d'accepter le choix de sa fille.
Après ma conversation téléphonique avec Abdou Karim, Daro m'envoya un message vocal sur WhatsApp me rappelant notre déjeuner prévu au restaurant :
- Anna, te moques-tu de nous ? Nous t'attendons depuis treize heures et tu ne daignes pas apparaître. Où es-tu ? Dépêche-toi, les filles commencent à perdre patience.
Je vous assure que j'avais complètement oublié ce déjeuner entre amies. Abdou Karim finira par me faire perdre la raison. Il me faut les rejoindre rapidement avant qu'elles ne s'irritent davantage.
Après quelques minutes de préparation, je sortis vêtue d'une combinaison blanche aux manches trois-quarts, ornée de dentelle sur tout le haut jusqu'à la taille, avec une ceinture nouée à la taille, des chaussures beige doré et un sac Chanel blanc et doré.
En quittant la maison, je croisai ma mère qui m'examina d'un air désapprobateur avant de me demander :
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LA DÉESSE DES TÉNÈBRES
Aventura"LA DÉESSE DES TÉNÈBRES" Au début de son parcours, elle fut l'objet d'un mépris constant, reléguée aux marges de la société et confrontée aux humiliations perpétrées par les fidèles de son époux, ces derniers ayant depuis longtemps perdu foi en leur...