Chapitre 5

792 35 12
                                    

Les jours qui suivirent n'atteignirent pas les hauteurs espérées par Noémie.Elles s'envoyaient des messages brûlants à longueur de journée malgré leurs emplois du temps chargés à toutes les deux. Et cela commençait à devenir  un peu trop, lent. L'une prise par les tournages, l'autre par ses répétitions. Noémie écrivait en parallèle son film, elle en était sûrement à la troisième version de son script. 

Parfois elle se demandait si son élève ne serait pas tout à fait capable de jouer dedans. Sur son talent elle n'avait rien à redire, mais son physique était peut-être un peu trop juvénile pour son personnage. Ses vingt-quatre ans ne se voyaient pas, tout au plus on lui en donnait dix-neuf, vingt. Dès que l'on commençait à parler avec elle, on doutait immanquablement de la première impression physique. Mais le monde du cinéma était cruel. Noémie en venait à se demander qui était vraiment Nelly. Comme s'il en existait deux, une dont les émotions ne dépassaient guère les seize ans, et une autre dont l'esprit affûté et courageux lui donnait au moins quinze ans de plus.

Contrairement à la plupart de ses élèves de sa tranche d'âge, elle travaillait depuis des années pour payer ses divers cours d'art de la scène. D'autres se la coulaient douce en cours grâce à l'argent que leurs parents mettaient dans cette école, Nelly était différente, elle ressemblait plus à son amie Alice, de quatre ans son aînée, qui elle aussi suait à la tâche ardue de financer elle-même ses cours.

Cela dit, son travail actuel les empêchait aussi souvent de se voir, ce qui frustrait évidemment le professeur dont les horaires libres se comptaient sur les doigts d'une main. Elles tombaient souvent sur des tranches occupées communes, ce qui pouvait tout de même relever d'un signe de l'univers. Cependant, il arrivait trop fréquemment au goût de Noémie qu'elle décline ses invitations depuis leur dernière entrevue. Il y a maintenant deux semaines qu'elle s'était invitée dans l'appartement de son élève, et depuis, à part pendant les cours, elles ne se voyaient pas.

L'air contrit de Nelly concernant ce manquement de présence parvenait à la faire tenir, un peu. Elle ne pouvait pas empêcher son élève de travailler, ni à son boulot alimentaire d'ouvreuse de théâtre, ni pour ses cours. Elle aimerait qu'elle réussisse. Toutes les qualités de jeu lui étaient favorables. Une bonne mémoire de son texte, un lâcher prise à travailler mais présent lorsqu'elle le voulait bien, des émotions à fleur de peau, une bonne concentration du moins la plupart du temps. De l'autre côté elle se surprenait à être sur les nerfs au point d'envoyer valser tout et tout le monde, uniquement parce qu'elle ne pouvait pas la voir comme elle le voulait. elle devait bien l'avouer, elle souffrait d'un manque. 

Pour passer le temps, elle pensait à elle, à ses scènes parfois en cours, à son travail de comédienne. Dès lors qu'elle lâchait son contrôle, elle était magnifique à regarder jouer. Elle prenait la lumière de manière naturelle, et la caméra l'aimait. Ce qui forçait souvent ses partenaires à se donner d'avantage pour ne pas se faire dévorer. Noémie lui avait déjà fait la remarque, et l'avait profondément gênée au demeurant. Nelly n'étant pas prétentieuse, elle s'en était voulu. Elle savait qu'une scène réussie nécessitait un équilibre parfait entre les énergies des partenaires. Il suffisait que l'un soit en dessous pour que toute la scène soit ratée. Cependant, Noémie lui avait affirmé que ce n'était pas à elle de s'effacer pour son partenaire, car elle donnait souvent le ton correct et le rythme juste. En théâtre elle ne savait, elle ne l'avait jamais vue. Il faudrait d'ailleurs corriger ce manquement. Noémie était curieuse de voir s'il y avait une différence entre la Nelly cinéma, et la Nelly théâtre. A priori oui, car ce n'était pas les mêmes règles de jeu.

A croire qu'elle était née pour ça, dès lors que son contrôle fichait le camp évidemment. Elle ne savait pas si elle se rendait compte de ses capacités. En ce moment à son cours, elle travaillait une scène où elle devait jouer une femme droguée, et meurtrie. La composition de ce personnage à son âge était très complexe puisqu'il ne fallait pas tomber dans d'ennuyeux clichés. A l'image cela sonnerait faux, et la caméra, contrairement à l'œil humain, voyait tout et amplifiait tout. Une seule fausse note se remarquait comme le nez au milieu de la figure et tout était à recommencer.

Histoire de profOù les histoires vivent. Découvrez maintenant