Chapitre 10

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A cause de ses tournages, Noémie n'avait pas pu aller voir d'autres pièces durant la semaine de représentation, même celles de Nelly. Le seul moment où elle avait pu la voir avait été durant son cours de cinéma qui se tenait jusqu'à la fin de l'année.

Après la nuit qu'elles avaient passée en rentrant de la fête, il était bien difficile ne pas se laisser déconcentrer par ces souvenirs. Elle l'avait à peine attendue. D'après la pendule qui trônait au-dessus de la cuisine américaine, il ne s'était écoulé que trente petites minutes après avoir franchi le seuil de la porte. Nelly était sans aucun doute partie très vite de cette soirée. Flattée par l'empressement de son amante de la retrouver, Noémie l'avait rejointe dans le petit hall. D'un profond et court regard langoureux, elles s'étaient embrassées passionnément. Toute cette attente ne le rendit que plus beau, plus intense. Nelly l'avait conduite contre le mur sans ménagement. Noémie ne pouvait que se ravir de toute cette amoureuse violence.

Malgré tout, elles restaient professionnelles. Le cours devait passer avant les préoccupations personnelles. Elles savaient ce qu'elles ressentaient l'une pour l'autre et cela était suffisant pour soutenir ces heures passées sans pouvoir se toucher.

Au fil de semaines évidemment leur relation avait pris un nouveau tournant. Elles ne se chamaillaient plus comme avant pour savoir qui dominerait l'autre. Même si ce jeu dans leur sphère intime les amusait toujours. Une tranquillité et une stabilité était parvenue à transpercer la carapace superficielle de leurs échanges. C'était agréable. Il ne fallait pas le nier. Il ne fallait pas nier non plus que leur petite bulle était menacée encore et toujours par l'inconnu, l'impossibilité de se projeter vraiment.

Les autres représentations de Nelly s'étaient tout aussi bien déroulées que la première. Benoît avait pu assister à celle de son cours de classique. Il en avait rapporté tous les détails à sa compagne. Dans son esprit, Noémie s'était remémoré leurs séances peu conventionnelles de répétitions sur cette pièce. A croire qu'elles avaient d'une certaine façon portée leurs fruits. La passion dévorante de L'Infante, et la rébellion face à des traditions l'amenant naturellement vers la soumission à son devoir. En façade elle était parvenue à donner le ton de cette emprise, mais dans sa voix, dans la puissance donnée à son texte, il l'avait décrypté de cette façon.

Un immense sentiment de fierté avait accompagné la professeure tout au long de son récit. Sans gêne elle s'était à moitié attribué le mérite de cette réussite bien qu'elle n'en garda les précisions que de sa tête. Nelly méritait tous ces honneurs, toutes ces éloges.

Ce soir, alors qu'elles avaient à peine pu échanger durant le cours, Noémie devait rentrer chez elle. L'impératif de ses tournages l'y contraignant, elle tâchait de se reposer afin de donner son maximum. Nelly était un peu déçue, mais elle comprenait. Le métier exigeait ça après tout.

Nelly était également rentrée chez elle, la tête embrumée par tant de questions qu'elle ne savait plus par laquelle commencer. Elle pouvait ce soir se permettre de rentrer chez elle vu que Juliette avait exceptionnellement décaler le cours du lendemain matin en milieu d'après-midi. Elle avait décliné l'offre de beuverie de ses camarades, sous l'œil perplexe de Noémie qui ne se souvenait pas qu'elle ait un jour refusé un verre.

Une nouvelle bataille commençait dans l'esprit de la jeune femme. Une de celle dont elle avait tenté de repousser encore et encore l'échéance. Cette stabilité entre elles en serait chamboulée.

Elle avait peur de la perdre. Ce n'était évidemment pas ce qu'elle voulait non plus. Pourtant, vivre éternellement dans une relation secrète n'était pas pour lui plaire. L'état de petit secret lui pesait sur le moral dans ces moments trop creux. Au point qu'elle se demandait parfois si Noémie n'aurait pas honte d'elle, de leur histoire. Ce n'était pas ce qui semblait. Mais ce doute lui étreignait le cœur. Noémie ne pouvait pas s'en rendre compte toute seule de tout ça. Elle lui avait montré à de multiples reprises qu'elle l'aimait. Pourquoi ce n'était plus assez pour Nelly ? Dieu sait qu'elle comprenait la position de son amante vis-à-vis de tout ça. Elle se constatait particulièrement égoïste de vouloir déjà plus. D'avoir besoin de plus. Elles s'aimaient, cela devrait être suffisant.

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