Chapitre 7

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La grande semaine de représentations arrivait. Nelly se sentait de plus en plus nerveuse à mesure qu'elle prenait connaissance du monde qu'il y aurait dans la salle. Elle aimait jouer, mais avait toujours peur d'une erreur malgré ses nombreuses heures de préparation. Il suffisait parfois d'un rien pour ébranler ses certitudes. Et si le technicien se trompait de musiques ? Et si les lumières ne s'allumaient pas au bon moment ? Et si quelqu'un dans la salle riait au mauvais moment ? Et si elle oubliait son texte ? Et si elle n'arrivait pas à pleurer ?

Autant de questions qui se bousculaient dans son esprit qu'elle avait du mal à chasser, si bien que les dernières heures de répétition technique furent chaotiques. En théâtre contemporain ou classique elle perdait ses moyens à mesure que son stress augmentait au fil des jours. Elle jouait la partition avec le trouillomètre à zéro. Cela faisait illusion, cependant les scènes perdaient en intensité. Elle le sentait parfaitement et se maudissait encore plus.

Ses professeurs avaient grande connaissance de son potentiel, mais tous savaient aussi à quel point ses angoisses profondes la paralysaient au moment le moins opportun. Il fallait également ajouter à cela sa relation avec Noémie qui n'arrangeait rien malgré les tentatives de la professeure pour l'apaiser.

Elle la savait particulièrement tendue, aussi Noémie ne disait rien qui puisse envenimer son état. Elle n'avait jamais vu Nelly aussi irascible et peinait à trouver les mots, les gestes pour la calmer ne serait-ce qu'un peu. Les soirées ensemble ressemblaient d'avantage à des séances de torture. Nelly se nouait le cerveau et Noémie restait là, sans savoir quoi faire et cela lui faisait mal.

A la veille de sa grande première, elle avait décidé de passer le reste de sa journée avec son élève. Si elle ne pouvait rien faire, elle pouvait au moins rester là quitte à subir, recevoir, son stress en pleine figure si nécessaire. Nelly était encore en train de réviser son texte, ce qui d'après l'expérience de Noémie, ne servait strictement à rien. Il fallait absolument qu'elle se détende, qu'elle se persuade que tout irait bien, qu'elle avait durement travaillé, qu'il était improbable que quelque chose tourne mal, qu'elle avait toutes les ressources et les cartes en main pour faire de ce moment le plus inoubliable de sa promotion.

— Nelly, arrête avec ce texte, conseilla Noémie doucement. Tu es prête, j'ai toute confiance en toi, tu seras sublime.

L'élève leva à peine le regard sur elle, les yeux à mi-chemin entre la colère et la peur.

— Tu ne comprends pas, Juliette a fait venir des personnalités du milieu, comme si c'était un casting. Tu sais comment je suis lorsque je me sens testée, jugée, évaluée.

— Je ne peux que comprendre, ça fait vingt ans que je vis ça tous les jours, railla-t-elle. N'oublie pas que j'ai une grande expérience de ce genre d'évènements ma chérie, et même si le stress est inévitable, c'est aussi à toi d'en faire soit un frein, soit un moteur.

— Je sais, en théorie, je le sais. J'y arrive pas, c'est plus fort que moi, j'ai l'impression de jouer ma vie sur cette scène demain.

— C'est peut-être ça le problème, non ?

Nelly la regarda perplexe tout en s'arrêtant enfin de lire. Rassurée d'avoir enfin capté son attention sur autre chose que sa peur de demain, Noémie descendit du canapé et la rejoignit sur le moelleux tapis de son salon. Elle passa ses jambes autour du corps de son amante et la serra contre elle, enfouissant son nez dans son cou.

Elle resta là sans rien dire quelques instants. Elle pouvait sentir chaque fibre de son corps tendue au possible, comme si elle avait cessé de respirer depuis des heures. Si la température de son corps ne trahissait pas qu'elle fût toujours en vie, Noémie aurait pu en douter en tenant seulement compte de la rigidité pratiquement cadavérique de ce petit corps qu'elle tenait entre ses bras et qu'elle aimait.

Histoire de profOù les histoires vivent. Découvrez maintenant