Partie VI

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On est tous vêtus de noir. Il y a sa famille, des gens que je n'avais jamais vu auparavant. Voir son cercueil me donne l'impression de recevoir des coups de poignard. Mon âme est enfermée dans un abîme, dans une obscurité monstrueuse. Maintenue entre des barreaux de fer, torturée sans cesse. Et une puissance malsaine occupe mon corps, menaçant mon être. Une énergie sombre suinte de chaque pore de ma peau, m'emprisonne. Je suis un danger. Un danger pour moi-même. Et pour ceux que je fréquente.

Je me sens coupable face à ses proches. J'ai tué leur fille. Qui était aussi ma meilleure amie. Sa mère sanglote, et les yeux de son père luisent mais son visage est sévère. Je suis assise sur un banc, tout devant, à côté de ses anciens amis de lycée. J'ai envie de dire quelque chose, ça me tord le ventre. Je ne peux pas la quitter. Du moins pas comme ça. Elle ne peut pas partir pour toujours, sans que je lui ait adressé une parole.

Je n'ai aucun papier, aucun texte préparé à l'avance. Mais en même temps est-ce que s'user sur un discours, réfléchir sur ses mots, c'est un adieu sincère ?
C'est dans cette ignorance que je me lève, sous les yeux de tous ces gens. Je dois lui rendre hommage.

Plus personne ne parle, alors que je me dirige vers l'estrade. Je me place devant le microphone, nerveuse. J'aperçois Evah dans la foule, partageant des messes basses avec un homme que je ne reconnais pas.

J'inspire à fond, tentant de me donner contenance. Mais mes jambes sont comme du coton. Je commence maladroitement à parler.

- Océane était une amie formidable... Je me souviens de son sourire rayonnant. Elle me disait souvent que je devais arrêter de me préoccuper de l'avis des gens, et que je devais être moi-même. Elle avait du mal pour rassurer, mais elle arrivait toujours à me redonner le sourire. Elle a été la plus belle chose qui me soit arrivé. Elle a toujours réussi à me faire rire. À chaque moment difficile elle a été là pour moi. Nous avons grandit, et évolué ensemble. On a partagé des souvenirs. Et même si elle n'est plus là aujourd'hui, elle restera toujours ma meilleure amie.

Je reprends mon souffle, à bout. J'ai envie de m'écrouler, de pleurer. Mais rien ne vient.

- Je sais aussi, que vous tous me détestez à présent. Vous auriez sans doute tous voulu que je meure à sa place dans cet accident. Mais je préfère vous rassurer. J'aurais donné volontiers ma vie pour elle ce soir-là. Et moi aussi je ne m'aime pas pour ce que j'ai fais.

Je ne peux plus continuer, ma voix se brisant au fur et à mesure. Alors je quitte ma place et pars me rasseoir. Des murmures s'étendent dans l'assemblée.

Puis je ne vois pas le temps passer, comme si j'étais dans une bulle. Dans un monde à part. Je me déplace comme un robot, ne sachant même pas ce que je fais. Je me demande ce qui m'a conduit à de telles réactions, si c'est le choc...

Alors que je m'apprêtais à partir à la fin de la cérémonie, le père d'Océane pose une main amicale sur mon épaule. Je me retourne, effrayée.

Sa femme me regarde d'un profond dégoût. D'une haine qu'elle ne peut même pas dissimuler. Je ne peux pas lui en vouloir. C'est une réaction normale quand on perd sa fille et que la responsable se trouve juste en face. Elle part silencieusement nous laissant tous les deux, allant rejoindre Evah et de la famille, regroupés près d'un arbre.

- Dure journée, dit l'homme.

J'acquiesce. Il sort une flasque de sa veste, et m'en propose. J'accepte. L'alcool est fort, mais pas suffisant pour apaiser mes maux. Une sensation de chaleur se répand dans mon corps, mais se dissipe rapidement laissant place au vide.

- Si on est ici aujourd'hui ce n'est pas de ta faute. Le seul et unique responsable de sa mort est le chauffeur qui a dérivé. S'il n'avait pas été là, rien de tout cela ne serait arrivé. J'en suis certain. Je continue d'y croire, et j'attends son procès.

- Je n'en serais pas si sûre, si j'étais vous.

Il ne dit rien pendant un instant, comme perdu dans le vague.

- Je me souviens, commence-t'il, quand vous veniez à la maison toutes les deux le mercredi après-midi. Vous étiez si heureuses. Je me souviens de quand vous vous affrontiez au judo. On en aurait presque oublié à quel point vous vous adoriez ! Et tous ces souvenirs, on était si heureux de vous voir épanouies.

Son visage s'illumine d'un doux souvenir nostalgique.

- J'aimerais tout oublier, dis-je.

Âmes en peine [ TERMINÉE ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant