Chapitre 2

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J'avance dans le couloir avec la démarche d'un automate. Mon carnet repose dans la poche de ma blouse blanche tandis que le bout de mon stylo a, lui, trouvé sa place entre mes dents. Je mâchouille toujours des trucs lorsque je suis nerveuse.

Même quand je ne le suis pas d'ailleurs.

En général, ce sont des bâtons de sucette, mais le matériel d'un psychiatre est restreint à une blouse, un carnet, un stylo ou un crayon, et un taser pour les cas d'urgence, donc...

Je m'arrête enfin devant la porte de mon premier patient. Je préfère commencer par mes patients habituels, mais je sais que si je ne me débarrasse pas tout de suite de celui-ci, le stresse va s'accumuler tout le long de la journée et ce sera encore pire. Alors j'inspire profondément, et ouvre la porte.

À l'intérieur se trouve déjà mon patient. Il a la tête posée contre la table, entre ses deux bras dont les poignets sont retenus par une paire de menottes. Je grimace. Il y a deux types de patients ici : des gens dangereux et des gens qui ne le sont pas.

En l'occurrence, celui-ci fait parti de la première catégorie.

Je me racle la gorge et vais m'asseoir sur la chaise en face de lui. Il relève enfin la tête. Ses yeux me scrutent un instant, surpris, puis il se redresse sur sa chaise. Mon regard dans le sien, je sens alors le stresse s'envoler.

-Je suis le docteur Marley, c'est moi qui vais m'occuper de toi à présent. je me présente, un sourire bienveillant ornant mes lèvres.

Je me perds un instant dans ses iris azur, semblables à une mer aux eaux paisibles. Son regard, dardé sur moi, me provoque d'agréables frissons, une sensation que je n'ai jamais ressentie avec d'autres patients. Puis je me ressaisis.

-Dana-il, c'est ça ? Je peux t'appeler par ton prénom ?

Il hoche vigoureusement la tête. Je me demande pourquoi il porte des menottes, cet homme m'a tout l'air d'un homme innocent, on croit même voir un enfant dans certains de ses gestes.

Et je ne peux m'empêcher de trouver ça adorable.

-J'ai appris que tu es né en Bulgarie. Comment, c'est ?

-C'est sympa. répond-il simplement, déviant le regard vers le sol.

-Tu as de la famille là-bas ?

J'ouvre mon carnet et m'arme de mon stylo, prête à écrire.

-Oui.

Je note sa réponse dans un coin du carnet, et poursuis.

-Qui donc ?

-Ma meute.

Sa réponse me prend au dépourvu.

Sa meute ? Comme une meute de chiens ?

Je griffonne quelques mots sur mon carnet, tandis que Danail marmonne dans son coin.

-On avait un chien avant qui s'appelait Marley. Il avait le pelage sombre comme le tien. fait-il d'un air nostalgique.

-Ah oui ?

Je n'aime pas spécialement être comparée à un chien, mais j'ai l'habitude de phrases de ce genre : les schizophrènes répètent souvent ce qu'ils entendent, mais les voix dans leur tête ne sont pas très nettes dans ce qu'ils disent et racontent très souvent n'importe quoi.

D'ailleurs, se peut-il qu'il en soit un ?

-Danail, depuis combien de temps es-tu ici ? je le questionne, ne possédant pas cette information sur ma fiche de renseignement.

Oups.

Je n'aurais pas dû en parler tout de suite. Je le sens soudain se refermer comme une huître, n'aimant visiblement pas parler de l'hôpital. Mais, n'ayant pas envie d'abandonner maintenant, je décide de poser cette question qui me bouffe depuis que j'ai lu son dossier.

-Pourquoi es-tu ici ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Il ne répond pas, mais semble s'agiter.

-Danail, est-ce...

-Laissez-moi !

Il prend sa tête entre ses mains en répétant ces mêmes-mots de plus en plus fort. La panique commence à me gagner. Soudain, il lève la tête vers moi. Je me fige en voyant ses yeux. Éberluée, je fixe l'or qui coule à présent dans ses iris.

N'avait-il pas les yeux bleus il y a encore quelques secondes ?

Il se met à grogner comme un animal, accentuant mon état de panique. Voyant qu'il commence clairement à perdre le contrôle, je décide de reprendre la situation en mains.

-Eh, calme-toi. Tu n'es pas obligé de répondre si tu n'en as pas envie. je tente d'une voix qui se veut rassurante malgré l'inquiétude qui y transparaît.

Il passe fréquemment ses mains dans ses cheveux, et me tourne le dos.

-Non, je t'interdis de lui faire du mal ! crie t-il.

Quoi ? Qui ?

Je commence à me lever pour aller alerter un garde, lorsque Danail pivote à nouveau vers moi. Tout mon corps se fige. Il s'approche dangereusement. Je déglutis face à la lueur menaçante qui brille dans son regard doré. Danail se penche sur la table.

Plusieurs secondes s'écoulent où l'on entend que le son de nos respirations et où je prie intérieurement pour ressortir de cette salle encore vivante.

Que ferait Jaelyn si je n'étais plus là ? Et ma mère, mes frères et sœurs, mes tantes, mes grands-parents, mes autres amis ?
Merde, même mon ex me manque en cet instant précis !

Ouais, je préfère carrément avoir une entrevue avec lui qu'avec ce patient.

-J'aime bien ton écriture. lâche-t-il de but en blanc. Elle est jolie.

Je remarque, avec stupeur, qu'il semble s'être calmé.

Peut-être est-il atteint d'une extrême bipolarité finalement ?

-Qu'est-ce qui est écrit ?

Je le regarde un instant, n'ayant que l'envie de prendre mes jambes à mon cou. Mais je me rassois sur ma chaise doucement sans le quitter du regard.

-T-Tu ne sais pas lire ?

Il lève le regard vers moi.

Merde, ils sont redevenus bleus !

Il secoue la tête, puis reporte son attention sur le carnet.

-Je peux le garder ? demande-t-il innocemment.

-Je n'y vois pas d'inconvénient.

J'attrape l'extrémité de la page entre mes deux doigts et la déchire. Je la regarde un instant, avant de la lui tendre.

De toute façon, il n'y a pas grand chose de marqué dessus.

Danail prend le morceau de papier. Un grand sourire étire ses lèvres alors qu'il observe l'encre noir qui occupe l'espace blanc, puis il plie la page déchirée pour la mettre dans sa poche.

-Je vais y aller à présent.

Je ramasse mon carnet et mon stylo et m'en vais à grand pas de la pièce. Mais avant que je ne sois complètement sortie, Danail dit quelque chose qui me laisse me fait froid dans le dos.

-Nous sommes ravis de t'avoir rencontrée, Marley.

Neslomimiyat VulkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant