Je suis bien ici

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Cela faisait maintenant deux mois que j'étudiais à la grande et prestigieuse université d'Oxford. Mes résultats tenaient la route, j'avais même eu le droit aux félicitations de mon professeur d'histoire de l'art. Matière qui, dans les années passées me donnait bien du fils à retordre. Étonnement, c'était un domaine qui m'a toujours passionné, mais ma capacité de rédaction me portait légèrement défaut en tant que dyslexique.

Du coté social, j'ai commencé à nouer des liens avec certains de ma promotion, pour autant, je restais toujours déstabilisé par l'absence de mon meilleur ami, Armin. Je n'arrivais pas comprendre ce qui l'avait poussé à choisir Lisbonne, ça m'énervait. En fait, je me voyais déjà faire les quatre cent coups avec lui, quelle déprime. Au lieu de ça, je me coltinais un voisin de chambre aussi bavarde qu'un Groot. Armin, t'as intérêt à avoir ton satané diplôme pour venir passer la troisième année avec moi.

Ici, les étudiants de troisième année avaient le droit de bénéficier d'une plus grande liberté concernant leur choix de logement. La condition est la dernière : ils devaient obtenir des notes suffisamment élevées pour pouvoir prouver leur sérieux à l'institut.

En somme, je pouvais dire qu'à cet instant de l'année, je me sentais bien d'être là, en dehors de ma zone de confort. Le bémol de la situation était que, je n'avais toujours pas réussi à extirper une piètre phrase, voire, un piètre mot de mon colocataire. En pensant, nous nous étions jamais réellement parlés, c'était à peine s'il daignait à tourner la tête quand j'entrais dans la piaule. Par tous les saints, il était hors de question que je me le coltine ce mec deux ans sans qu'il fasse un moindre effort social. Tout le monde à quelque chose à dire, de la façon à comment s'habiller le matin, aux critiques des repas infectes du Restaurant Universitaire. Ou alors, il était peut-être un mec imbus de lui-même, ne pensant qu'à sa poire.

...

19h00, ça ne m'enchantait guère, mais comme tout le monde, je devais rejoindre mon dortoir, ou le RU. Personne n'avait l'autorisation de traîner dans les couloirs, soit dit en passant, extrêmement sombres. Poudlard paraissait presque féerique sur ce point-ci.

Sans savoir si mon colocataire était présent, je m'écroulais sans délicatesse dans mon lit, en prenant le main plaisir de pousser un long râle de soulagement, tout en m'étirant comme un pacha. Celui-ci s'indignait du bruit, il pivota rapidement sur sa chaise en me fusillant du regard, regard plus que douteux. C'est un serial killer ou quoi ? Je me sentis instantanément persécuté, alors pour donner bonne impression, je glissais sur mon lit pour venir jeter un coup d'œil vers les lattes. J'avais beau faire le malin, si je venais à casser quelque chose ici, je n'aurais jamais les moyens de réparer cet accident. Toutes mes économies ont été dévorées par les frais d'inscription :

« Je sais que ça à l'air difficile pour toi, mais évites de tout violenter. D'abord, la porte, ensuite le lit, t'es un vrai bourrin. Je déglutis silencieusement en le toisant du haut en bas. Pour quelqu'un qui donnait l'impression de m'ignorer, il semblait bien à l'affût de mes faits et gestes.

— Tout dans la bienveillance à ce que je vois. Le plus impressionnant, c'est que tu daignes enfin à me considérer. Ça mérite presque une standing ovation.

— Penses ce que tu veux mais par pitié, arrête de faire du bruit.

— Sois pas si ronchon, ça te fait un visage tout ramolli. C'est affligeant de poser cette question à cette période de l'année j'l'avoue, mais tu t'appelles comment d'ailleurs ?

— Tu n'as qu'à lire. Faire attention à ce qui t'entoure ne te ferais pas de mal. Laisses moi bosser maintenant. » Il a dit « lire » ? Lire quoi ? Où ça ? Les trombinoscopes?

Bordel et c'était reparti, il brancha ses écouteurs et je ne l'entendis plus pendant des heures et des heures. À ce train, je vais connaître son âge dans deux ans. De toute mon étrange existence, je n'ai jamais ressenti ce sentiment de malaise envers une personne, pourtant fallait y aller pour me mettre mal à l'aise. Je pouvais pas décemment nommer cela une « relation » puisque rien ne se construisait entre nous. Ce gars était une fréquentation, qui plus est, taiseux. Le noiraud était sans arrêt plongé dans ses livres, ses fiches bristol et ses lettres de motivation pour les stages.

...

Deux heures après, je cogitais encore sur sa dernière phrase, qu'est-ce que je devais lire ? Sur quoi n'avais-je pas porté d'attention ? Dans un sursaut plein d'énergie, je pris l'initiative de m'approcher de son bureau. Sur celui-ci, tout était rangé, rien ne dépassait de son emplacement. C'en était presque flippant et j'avouais franchement ne pas me sentir comme chez moi. Ce mec avait le don de tout rendre impersonnel, ça m'hallucinait. Je n'appréciais pas spécialement analyser et poser des pseudos diagnostiques sur les autres, néanmoins, je savais reconnaître une attitude maniaco-dépressive. Je constatais de jour en jour des sautes d'humeur, si implicites étaient-elles, sur des choix pourtant « basiques » du quotidien. Je ne connaissais rien du noiraud, les facteurs extérieurs ainsi que son vécu participaient à l'insécurité sociale dans laquelle il se trouve. Pour moi, ça me paraît évident tant sa manière d'interagir était crue et incertaine. Par exemple, le mois passé, je lui avais simplement demandé de m'aider à choisir entre deux couleurs basiques pour le dessous de table de mon bureau, tel l'indécis que j'étais. Mon voisin s'est vu être encore plus incertain, voir, complètement paniqué et ahuri que je puisse lui demander cela. Il a fini par me répondre « à quoi bon choisir une couleur pour ton bureau si tu travailles sans arrêt sur ton lit, ou en dehors de la chambre ? Tu ne sais vraiment pas investir dans les bonnes choses. » Puis il m'ignora.

Mes yeux revinrent sur son bureau, je fus intrigué par l'enveloppe posé dans le coin de la table. Apparemment, elle lui était destinée : « À l'attention de Monsieur Ackerman ». Je plissais les yeux pour lire plus justement les informations de qu'elle contenait. Putain, l'enveloppe datait de un mois ?! Je n'aimerai pas à être l'expéditeur. Qu'est-ce qui clochait avec lui ? C'était qu'un foutu courrier, il n'allait pas lui sauter à la figure bon sang !

...

Deux semaines s'étaient écoulées depuis ma dernière pseudo discussion avec mon voisin de chambre. Ce type m'intriguait franchement, pourquoi il ne s'intégrait nulle part ? Il ne s'était inscrit à aucune activité sportive ou extra-scolaire. La vie étudiante ne l'intéressait sous aucune couture. Ses résultats eux, certes, demeuraient excellents, pourtant ce ne seront pas eux qui lui donneront un épanouissement dans la vie collective. Son investissement dans les travaux de groupe culminait le niveau « zéro ». Sa capacité a rester indifférent à tout ce qui l'entourait forçait presque le respect.

Je ne l'ai jamais vu traîné sur les pas d'un quelconque autre étudiant, il ne faisait même pas semblant de s'intéresser au club le plus inactif de l'université, c'était pour dire. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé pour certains.

Par exemple, Sasha lui a proposé une patate pour engager une conversation -certes simpliste - mais il y avait l'effort de. Jean lui, lui a proposé de mettre en commun leurs recherches sur le dernier devoir du cours des sciences de la vie, sans succès. Historia a proposé de lui faire la visite de l'établissement en privé, elle pensait qu'il était juste un grand timide, échec cuisant aussi puisqu'il l'a rembarré d'une critique acerbe. En clair, tous s'étaient pris le râteau de l'année.

D'un côté, mon côté commère m'incitait à en savoir plus, il était mon colocataire, donc cohabiter avec un inconnu c'était pas trop mon trip. Le truc, c'est que j'appréhendais sa réponse, s'il venait à me la partager. Si son histoire tournait autour d'une situation familiale ou amicale tragique, je n'avais pas le temps de compatir à cela.     


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* Chapitre réécrit :)



L'université est un bataillon d'explorationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant