Parles lui. 1

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 La grande asperge était enfin sortie de la pièce, je pouvais vider mes poumons en toute tranquillité.

Quelle pression, il me mettait sans arrêt dans un malaise constant. Non pas qu'il soit foncièrement désagréable, au contraire, j'admettrais même qu'il soit assez avenant pour quiconque voulait tisser des liens avec lui. Cependant, je n'étais pas ici pour ça, et quand bien même je le souhaiterai, c'est au-dessus de mes forces de m'adapter à une telle pression sociale. Me connaissant, dépasser le stade de « camarade de chambre » me sera très certainement anxiogène. Ce n'était un secret pour personne, j'étais définitivement le plus asocial de la promotion. Est-ce que je me conditionnais ? Me protégeais ? À mes yeux, ces deux notions me paraissaient presque identiques, d'où ma difficulté à me pencher sur la réponse de ces interrogations. Je voulais enfin passer une année sans problème, sans déception, sans attachement. Le prix à payer pour répondre à cet objectif personnel n'était pas glorieux, je devrais cacher aux autres ma véritable personnalité, si morne était-elle.

Le fait d'accepter que nous ne répondions pas aux normes standardistes de ce qu'un humain devrait être en société me dégouttait. Les codes sociaux me répugnaient, parce qu'à cause d'eux, nous sommes sans arrêt en quête de changement, pour les autres et non pour nous. Nous étions en 2021, le monde avait tout le loisir d'évoluer et pourtant, l'humanité n'a jamais été aussi ridicule sur la dimension des relations humaines. Plaire pour qui ? Pour faire quoi ? L'ère était au « paraître » et à « l'acceptation de tous sans le moindre effort de comprendre pour quelle raison ». Là où des vieux frustrés de la vie n'arrivaient pas à accepter le fait qu'on puisse leur dire « non » à leurs caprices de merdeux, d'autres pleurnichaient sur le fait de ne pas appartenir à un groupe, ou dans des cas extrêmes, une meute. Affligeant.

...

Vingt minutes étaient passées, la porte de la chambre se rouvrit sur le visage simplet de mon éternel colocataire, Eren. Cette tête de mule avait beau arborer un visage conformiste, je lui trouvais un certain charme, dans mon fort intérieur. Oui, Eren Jäger était objectivement un garçon mignon, il pouvait plaire à bon nombre de personnes. En supposant qu'on puisse s'appuyer sur les standards de beauté à vomir de mes deux. Bon et après ? Ce n'était pas comme si nous entretenions de bons rapports pour que je me permette de me gonfler son infernal ego.

Cela faisait maintenant des semaines que j'étais domicilié en ces lieux, je n'avais réussi à me faire en camarades que mes vieilles fiches bristol et mes manuels de mille tonnes. Impressionnante performance j'ai fait là, je m'attendais à pire, comme ne plus avoir envie de lire un quelconque cours après deux semaines d'études. Je dénote un certain progrès quant à mes capacités de persévérance. Cette année, je devais me faire violence, je devais sortir de ma zone de confort. Premièrement, ça commençait basiquement par supporter mon étouffant de colocataire. Passé cette étape, le reste me paraîtra quasi faisable. A l'évidence, le monde changeait, ses mœurs aussi, je devais m'accommoder à cela. Que ça m'en déplaise et m'angoisse. C'était comme cela que fonctionnaient les relations non ? Participer à des discussions plus ou mois sensées et rebondir sans réelle conviction à des tendances sur les réseaux, tout en s'inventant une philosophie visant à entretenir une sorte de « cancel culture » de toutes choses. Je n'avais que vingt-deux ans et je ressentais mon arthrose aiguë face à ce surplus de superficialité constante. Société de merde :

« Alors ? Dis-je simplement à mon colocataire. Quoi ? Fallait bien commencer quelque part ?

— Tu me parles ? La vache, c'est ça de se faire souvenir par son voisin de chambre ? Tu sais que j'en frissonne d'extase là.

— J'veux que tu saches, j-je suis une brêle dans les relations sociales. Parfois je me dis que tu ne mérites pas autant d'aigreur de ma part .

— Pour le coup, je ne te contredirai pas sur cette info. Enfin bon, l'important c'est de connaître ses points faibles et points forts. Attends deux s'condes, je rêve où tu t'excuses ? Souriait-il d'un air enfantin.

L'université est un bataillon d'explorationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant