10. Les cartes en main

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Rose s'était réfugiée à la bibliothèque pour travailler en paix. Une affreuse migraine l'assaillait depuis ce matin et les cris de Blaise ou les remarques perçantes de Pansy ne l'aidait pas. Rose ignorait d'où elle venait, mais ça lui avait définitivement coupé l'appétit. Le week-end s'annonçait mal, songea Rose en marquant son point de sa plume d'une pression un peu trop forte. Peut-être même trop, parce qu'elle avait fait un trou dans son parchemin et que le bout d'acier de la plume était coincé dans le bois de la table.

- Mrs.Prince serait furieuse si elle voyait ça, fit Théodore en s'asseyant en face d'elle.

Il lui sembla qu'il parlait d'une voix encore plus basse qu'à l'habituel, comme s'il savait les maux dont elle souffrait. Rose plissa les yeux, contrariée. Pouvait-il vraiment la percer à jour si aisément ?

- Faisons en sorte qu'elle ne le voit pas alors, répliqua Rose en tirant violemment sur sa plume pour la sortir du bois.

Elle constata avec dépit qu'elle s'était tordue. Rose soupira et sortit sa baguette discrètement -il ne faudrait pas que Mrs.Prince la voit baguette à la main-, puis la pointa sur le bout de sa plume. C'était une chose de réparer les lunettes de son frère. C'est était une autre de réparer un bout de métal si délicatement taillé. Mais bon, Rose était talentueuse, et son « Reparo » marcha comme sur des roulettes. Du moins en apparence. Elle savait bien que la plume se retrouvait fragilisée. Surtout qu'elle n'y avait pas mis pour une noise d'effort.

- Tu pourras en racheter une à Pré-au-Lard, proposa Théodore comme s'il suivait le fil de ses pensées.

Rose eut un sourire crispé. Il ne savait pas, qu'elle n'irait pas à Pré-au-Lard.

- Mes cochons de tuteurs ont déchiqueté mon coupon de sorti, confia-t-elle. Et celui d'Harry. Pas de sorti à Pré-au-Lard pour moi.

Théodore arqua un sourcil face à la haute estime et au respect déferlant que Rose avait pour son oncle et sa tante. Il savait que la situation était tendue entre eux, mais elle ne semblait qu'aller en s'aggravant d'année en année.

- Je t'en achèterai une autre, décida alors Théodore.

Rose leva les yeux au ciel.

- Je la jetterais à la poubelle dès que tu me la donneras.

- C'est pour ça que je la glisserais dans ta trousse pour que tu la confondes avec tes autres plumes.

Sa réponse décocha un sourire à Rose, qui relisait ses notes de métamorphose. McGonagall les accablait déjà d'une montagne de devoirs, en plus d'une évaluation sur toutes les théories abordées depuis la première année pour mardi prochain. Autant dire que Rose était ravie. Elle avait bien ri en entendant Ron désespérément gémir qu'il avait jeté tous ses cours des années précédentes. Ce bouffon. Quand Rose y repensait, elle se demandait vraiment comment lui et Harry étaient devenus amis. Puis elle se demandait comment elle et Harry avaient pris des chemins si différents. Et de fil en aiguille elle repassait chaque moment gravé dans sa mémoire depuis qu'Hagrid, la nuit de leur onzième anniversaire, était venu les chercher pour leur apprendre qu'ils étaient... Attention, roulement de tambour... Des sorciers ! Tadaam. Rose trouvait certains de ces souvenirs dérisoires. Pourtant, c'était parfois ceux auxquelles elle s'accrochait le plus.

C'est vrai, ça... Quand ne pas parler à son frère pendant plus d'une journée était-il devenu une banalité ?
Quand est-ce que mentir était devenu un quotidien ? Esquiver les questions, enrober les réponses d'un soupçon de vérité... Rose papillonna des paupières, troublée. Ça ne la gênait pas, de mentir. Mais quand il la regardait avec ses grands yeux bleus, aussi perçants que la glace... Ça devenait juste plus difficile.

- À quoi tu penses ?, murmura Théodore, ses yeux se baladant sur le visage de Rose, qui s'était abîmée dans ses pensées.

- À tout et à rien. Comme d'habitude, répondit-elle dans le même murmure.

Comme d'habitude.
Un énième mensonge, une énième esquive, de nouveaux mots enrobés, détournés de leur réalité.

- Pansy n'ose pas en parler mais elle s'inquiète pour toi. Et Blaise aura besoin de tes notes de métamorphose.

Rose souffla du nez face au changement radical de sujet.

- Dis-lui de venir me les demander en face. Et de quoi s'inquiète-t-elle ? De Sirius Black ?, s'enquit Rose avec une lueur d'amusement dans les yeux.

Sirius Black... Il ne lui faisait pas encore peur. Pas vraiment.

- Elle prend ça beaucoup plus sérieusement que toi. Tu sais, le fait qu'il veuille te tuer.

- Théodore qui fait de l'ironie, mais que se passe-t-il, railla Rose.

- Pourquoi tu ne veux pas t'inquiéter ?, la questionna subitement Théodore.

Rose fut surprise de cette question, sortie de nulle part, mais elle finit tout de même par dire :

- Parce que je n'ai pas toutes les cartes en main.

Théodore croisa les bras, perplexe, et se laissa aller dans le moelleux de la banquette. Il trouvait au contraire très inquiétant de ne pas avoir toutes les cartes en main. De ne pas tout savoir. Autrefois Rose aussi en aurait été inquiétée. Seulement là... Elle avait l'impression qu'elle pourrait être agréablement surprise. Une question... disons, d'instinct.

- Et quelles cartes il te manque, exactement ?, demanda Théodore, confondu dans l'incompréhension.

Il avait vraiment du mal à suivre Rose, cette année. Peut-être qu'elle était devenue encore plus mature qu'elle ne l'était. Rose mordilla le bout de son petit doigt et se pencha vers Théodore en prenant une inspiration, prête à vomir toutes les questions qui lui titillaient l'esprit :

- Pourquoi s'échapper seulement treize ans après ? Pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui l'a poussé à quitter Azkaban après toutes ces années ? Comment, d'ailleurs, s'est-il échappé d'Azkaban ? S'il avait vraiment envi de nous tuer, ne se serait-il pas échappé depuis bien plus longtemps ? C'est plutôt noir comme pensée non ? Comment ça se fait que les détraqueurs n'aient pas pompé toute son énergie en treize ans ? Encore une fois attendre aussi longtemps ne fait pas de sens.

N'importe qui d'autre se serait retrouvé assommé par toutes ces questions. Pas Théodore.

- Il a peut-être perdu la notion du temps, émit-il comme hypothèse. Peut-être pensait-il que vous entriez à Poudlard cette année.

Rose secoua la tête.

- Je ne pense pas qu'un homme assez lucide pour s'échapper d'une prison dont personne n'a jamais réussi à s'échapper, ne sache pas suivre le cours du temps. Ce sont des prisonniers ça m'étonnerait qu'ils n'aient pas le droit à un petit coup d'œil au calendrier.

Théodore lui concéda ce point.

- Moi, je pense qu'il a vu quelque chose qui l'a poussé à s'échapper, fit fébrilement Rose. Et cette chose... n'avait rien à voir avec moi ou Harry.

Théodore fixait presque avec admiration l'intelligence qui débordait des yeux et des mots de Rose. Elle était vraiment... Surprenante.

- Et pourtant tout le monde pense qu'il est à votre recherche, contra Théodore.

- Penser et assurer sont deux notions bien différentes, tu ne penses pas ? Cette discussion n'est que ça. On pense, on pense, et on pense, mais on ne peut rien assurer. Parce qu'on a pas toutes les cartes en main.

- Je suppose que tu comptes récupérer ces cartes une par une, soupira Théodore.

Le sourire en coin malicieux de Rose le confirma.

- On ne connaît pas le futur mais on peut explorer le passé, dit-elle en jetant un coup d'œil autour d'elle, pour être sure que personne ne les écoutait. On devrait creuser un peu plus le passé de ce Sirius Black.

- L'année ne peut pas se dérouler tranquillement avec toi, se désola Théodore.

Mais il se promit de découvrir tout ce qu'il y avait à découvrir sur ce Sirius Black. Ses yeux se tournèrent vers les étagères les plus reculées et poussiéreuses de la bibliothèque.
Il devrait peut-être commencer par les archives...

Rose Potter et le Prisonnier d'AzkabanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant