Mean Vampires

32 (Ian)

J'ai la tête enfoncée entre les coussins. Je pense à ce que j'ai dit à Soul, à ses larmes, à ses sanglots qui se veulent discrets mais que j'entends malgré les murs épais.
Je suis las.

D'un oeil distrait je regarde cette chambre ringarde dans laquelle je suis. Un tableau représentant un champ de tournesol est accroché au mur, et le tapis est plein de peluches.
Il s'est passé tellement de choses en une soirée! Mon esprit se focalise encore sur la belle humaine, quoi que j'essaye de faire pour me distraire. Ai-je pris la bonne décision?

Tout est confus dans ma tête. Je vois les mains de mon frère sur son corps, j'imagine ce qu'il lui a fait. Je me rappelle de son cou ensanglanté, je visualise ce qu'elle a enduré... c'est un cycle sans fin. Je ne peux ignorer la peine que m'a causé son départ.

Je l'aime toujours.

Mais que faire lorsque vous êtes amoureux d'une humaine si convoitée? Je suis un vampire, pas une girouette. Et je ne peux pas m'imaginer la mettre en danger une fois de plus en la gardant près de moi. Elle est condamnée à être poursuivie par cet abruti de Chase, et pour sa sécurité je n'ai pas le droit de la faire mienne.

Je serre le poing. Pourquoi est-ce-que c'est elle et pas une autre? Pourquoi suis-je obligé de faire ce sacrifice, de la blesser pour la protéger?

J'entends au loin le bruit de la douche de sa chambre. Je repense à ce que je lui ai dit, aux reproches que je lui ai fait, sur l'odeur de Chase, ses vêtements...
Quel abruti, elle devait se sentir suffisamment souillée comme ça. Il faudra que je lui présente des excuses.

Tout n'était pas faux cependant, dans mon discours. Il fallait qu'elle sache comment j'ai vécu ces derniers jours, je me devais de lui dire. Mes sentiments pour elle ont pris un énorme coup, c'est vrai. Je ne peux plus la considérer comme avant, et elle n'est en rien responsable mais c'est un fait.

J'entends l'eau qui s'arrête de couler. J'ai envie de la voir. Mais comment la regarder en face après lui avoir dit tout cela? Je ne suis qu'un imbécile. Je pense à Ash, en cavale avec Polly.
Deux vampires fous amoureux vivants leur happy ending. Quelle chance.

Je reste longtemps immobile, perdu dans mes réflexions, puis suis envahi par la faim. Je ne peux évidemment pas demander du sang à ma charmante colocataire, ça serait déplacé et beaucoup trop risqué, je ne veux pas retomber dans ses bras. Retrouver Soul m'a fait oublier mes besoins primordiaux. Je descends à la réception, et leur signale. Il m'offrent une jolie servante, qui se tortille comme une pintade en me voyant. Je bois son sang, mais il n'a pas le goût de celui que je veux réellement.

Je la renvoie rapidement, mais cette idiote passe faire le ménage dans la chambre de Soul avant, sans même camoufler les marques laissées par mes crocs. Mince. Maintenant ma protégée sait que j'ai bu au cou du personnel.
C'est probablement mieux ainsi. Si je veux couper les ponts réellement avec elle j'ai peut-être raison de lui montrer que je ne la considère même plus comme mon esclave de sang.
Cependant j'entends très distinctement les sanglots de Soul au départ de la servante. Je ne peux m'empêcher de me sentir coupable.

Alors je ferme les yeux et essaye de plonger dans l'inconscience pour ne pas avoir à les supporter.

****

Le lendemain, le soleil brille à nouveau dans le ciel, et un nouveau jour commence. Soul, malgré mes efforts honteux pour essayer de deviner ses actes, ne fait pas de bruit notable de l'autre côté du mur.

Je décide de sortir pour une promenade. Il faut que j'évalue les environs pour trouver un nouvel endroit ou aller, car nous sommes encore trop proches de la demeure de Chase. Pourquoi pas changer de pays à ce stade? Ce petit village sera le premier à être fouillé par la milice de mon frère, et nous ne pouvons pas nous permettre de rester ici longtemps. Retourner à la capitale n'est pas envisageable non plus; c'est le second lieu où Chase viendrait nous chercher.

Si nous réussissons à traverser la frontière, Soul a en  théorie avoir une chance de s'en sortir. Chase n'a jamais quitté le pays, et même avec toute la bonne volonté du monde, il lui serait compliqué de la retrouver dans un différent pays, sans indice sur sa localisation précise, et sans son fidèle chien Aaron.

En y réfléchissant, cette solution semble la meilleure. Je laisserai Soul dans une contrée frontalière, bien en sécurité, et pourrais rentrer en ces terres paisiblement.

Si nous partons bientôt, nous pourrions y être en un jour, avec une escale. Nous ne sommes pas si loin de la frontière la plus proche, et nous pouvons prendre le train.Trouver un nouveau maître pour elle ne sera ensuite qu'un jeu d'enfant. Je veillerai personnellement à ce qu'elle se retrouve enfin dans un foyer sans danger. Ce plan a un avant-gout de réussite, mais je sais très bien que la théorie et la pratique sont deux choses différentes.
Comment pourrais-je abandonner la femme que j'aime, lui tourner le dos?

Il faut que je me ressaisisse. Ce ne sont pas les bonnes questions à se poser, je devrais d'abord me soucier de sa sécurité. Je déambule dans les petites rues pavés du hameau. Cet endroit a une allure presque médiévale, et les femmes portent ici de longues robes brodées de fleurs comme dans l'ancien temps.

J'ai du mal à détourner mes pensées de l'humaine malgré tout. Je l'imagine dans une robe à fleurs maintenant. Je l'imagine sans robe à fleurs. Je m'énerve contre moi-même. Il faut vraiment que je la chasse de mon esprit.

Je rentre avec précipitation à l'hôtel, avec la ferme intention de la sortir de son lit. Notre périple ne doit pas tarder. Je toque à sa porte, et elle m'autorise à entrer.

En la voyant, je me fige. Soul s'est ressaisie. Ce n'est plus la triste petite créature d'hier, elle semble déjà remise sur pieds. Assise sur son lit, et m'observe, immobile. Il n'y a plus une trace de sang sur sa peau, et son cou est d'une blancheur éclatante, malgré les marques laissées par Chase. Elle porte une longue chemise de nuit légèrement transparente, et je m'efforce de la regarder dans les yeux. Son regard est doux, et ses long cheveux de jais sont ramenés en une couronne autour de son crâne, dégageant sa nuque et ses épaules. Je revois celle qui en un regard me charmait, déjà au tout premier manoir. J'ai envie de passer mes mains sur cette peau douce, de la caresser, d'enfouir ma tête dans son cou, et de lui retirer cette stupide chemise et d'embrasser chaque parcelle de son corps. Il me semble que j'ai perdu toute volonté de résister. Cependant, je me maîtrise; j'affiche une expression neutre, voire hostile, et lui annonce que nous allons partir. Je ne suis que frustration à cet instant précis.

- D'accord, me dit-elle en souriant. Je me change et je te rejoins alors...

Je quitte la pièce sans lui répondre. Il va falloir que je fasse plus attention, elle a le don de réduire en miettes mes bonnes résolutions.

Ça va être plus compliqué que ce que tu pensais, non? murmure la voix de Soul dans mon esprit.

Je marmonne tout seul dans ma barbe.
Putain, elle a bien raison.