37 (Ian)

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Après avoir quitté Soul, ce soir-là, j'avais longuement marché.

Je repensais à ce qu'elle m'avait dit, dans les petites rues désertes de la ville, je songeais à la chaleur de son corps, à sa vivacité si différente de la froide lassitude des autres vampiresses que j'avais eu dans mon lit. Elle me manquait déjà. Elle était différente. Je l'aimais. La nuit me semblait plus froide que jamais, et les lumières jaunâtres me paraissaient écœurantes, ce soir-là.

Si la jolie humaine m'avait finalement laissé partir, c'est parce qu'elle avait pris conscience du danger auquel elle nous exposait. Je me souvenais, lors de mon vagabondage nocturne, de ses beaux yeux embués, lorsque nous étions encore dans l'hôtel. Elle m'avait avoué le lourd secret qu'elle gardait depuis son retour de chez Chase, sur la mort de mes parents, en vérité tués par ce dernier. La nouvelle avait été dure à encaisser, même si je m'en doutais depuis quelques années déjà. Soul m'avait consolé, épongé ma douleur; mais elle avait enfin et surtout compris le sort qui risquait de nous arriver si nous restions ensemble. Chase aurait retrouvé notre trace; il n'était pas difficile de traquer un vampire comme moi et une esclave aussi éblouissante qu'elle. Le connaissant, il n'aurait pas supporté une énième fuite de sa part. Il aurait adopté son comportement habituel de lorsque les choses dégénèrent pour lui; il aurait tué tout ce qui bouge. De plus je n'avais aucune chance, si je décidais de me battre avec lui. J'avais essayé de le tuer, auparavant, mais mon frère était suffisamment fort pour simuler sa mort. Je ne pouvais pas risquer de le laisser m'assassiner sous les yeux de ma douce. En effet, il y avait bien sûr un pourcentage de chance que le vampire ne nous retrouve jamais. Mais comment aurais-je pu vivre heureux avec la femme que j'aimais tout en sachant qu'un monstre assoiffé de son sang était à sa poursuite?

En nous séparant, nous avions au moins une chance de survie, chacun de notre côté. Et, réalisant cela, Soul avait fini par accepter mon départ. J'avais, durant cette nuit de marche sans but, réussi à trouver un établissement de formation d'esclaves. Ces lieux, en général réservés à l'élite, étaient des sortes d'écoles garantissant une sorte de diplôme, après un an d'études. On mettait là des esclaves de tout horizons, moyennant une participation financière active.

Les humains étaient ici logés, nourris et blanchis, et la plupart d'entre eux finissaient par servir de grands comtes, ou parfois même la descendance de Saintclair, ce qui leur garantissait une vie confortable et beaucoup plus longue que celle des autres esclaves. Par chance, comme beaucoup de commerces de vampires, ils n'étaient pas fermés. Je m'étais approché, avait toqué, et m'étais laissé emporter par le tourbillon de paperasse que créait la vente de ma chère Soul. Le lendemain, ils étaient venus la chercher dans sa chambre, et chaque mois, je recevais un télégramme m'indiquant si elle était toujours vivante. C'était moi qui l'avait demandé. Je ne voulais pas savoir qui elle fréquentait, ce qu'elle aimait faire là-bas, ou ce qu'elle devenait. Je voulais juste m'assurer qu'elle survivait. Entendre parler d'elle m'aurait à cette époque causé trop de mal.

Peu à peu, je m'étais laissé aller. Sans elle, le quotidien était devenu fade, sans gout. Les premières semaines j'avais essayé de me consoler avec une autre chair. J'avais déménagé bien loin de la frontière, dans un énorme chalet. Chaque servante présentait les marques de mes morsures, et j'avais même, dans un grand élan de désespoir, fait emménager Fay avec moi. Je n'avais évidemment pas voulu racheter une esclave de sang.

Fay ne se doutait pas que chaque fois que je la touchais, c'était le visage de ma Soul que j'avais en tête. Nous avions vécu quelques temps ensemble. Puis un jour, elle avait réalisé qu'elle n'était qu'un passe-temps pour moi, et elle était tout simplement partie. Le temps me semblait être une mélasse collante dans laquelle je me noyais, sans Soul.

******

Aujourd'hui, cela fait donc quatre mois que ma belle humaine n'est plus là. L'été est revenu, les oiseaux chantent, les coquelicots fleurissent par champs à l'extérieur. Mais je reste toujours saisi par ce manque si violent. C'est elle qui m'est nécessaire, et je ne peux m'empêcher de penser à son sourire, à ses mains, et à sa peau à chaque heure qui passe. C'est la façon dont elle fronce les sourcils, lorsqu'elle ne comprend pas quelque chose, qu'il me faut. C'est son rire trop aigu que j'ai besoin d'entendre.

Je sais déjà que ma journée sera vide, que je produirai rien. Ma seule distraction sera de recevoir le télégramme de la pension d'esclave, censé arriver dans quelques minutes. Au moment ou je pense cela, une de mes servantes Jane, s'exclame.

"Monsieur, vous avez reçu un télégramme!"

Je me précipite. Jane me tend la feuille de papier, et je reconnais l'adresse de l'établissement sans mal. Alors que je lis en quelques secondes le pli, je suis frappé par une découverte hors du commun à mes yeux. Au lieu du basique "RAS. Toujours vivante" qui arrive chaque mois, de nouveaux mots sont inscrits sur la fiche.

Je sors de la maison comme poursuivi par le diable, court jusqu'à la gare, monte dans le premier train pouvant m'emmener sur place. J'ai l'impression de suffoquer. Cela ne peut pas être possible. Je regarde le paysage passer, prie pour arriver à temps. Mon esprit ne ressasse qu'une seule chose, et il s'agit de la désinvolte phrase écrite sur cette missive de malheur:

"Sujet gravement malade, pathologie inconnue".

Mean VampiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant