XXVII. La visite

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«Celle-ci est ma préférée!»

Je scrutai le visage enjoué et rayonnant de Léa, quelque peu surpris d'un tel enthousiasme.

«Cela ne m'étonne pas, cette photo est magnifique, toute en nostalgie» lui répondit Robin.

J'observai à nouveau cette photo dont j'étais censé être l'auteur. C'était un beau contre-plongée d'un enfant, le visage et le bras tendus vers le ciel pour essayer de rattraper le ballon brillant qui lui avait échappé. Cette photo était belle à coup sûr, et j'étais étonné qu'elle soit de moi

«Et toi Steph'? Qu'elle-est ta préférée? demanda Léa innocemment.

- Tu ne le sais pas? Stéphane ne t'a jamais montré sa photo fétiche, celle qu'il garde toujours sur lui? s'exclama Robin.

- Non... tu l'as connais toi?

- Attend, je te la sors.»

Pendant que Robin fouillait parmi les centaines de photos qu'il avait ramenées, je m'interrogeai: qu'elle pouvait être cette photo fétiche? Je ne m'en souvenais pas. Une photo de Léa à coup sûr, et pas trop dénudée puisque Robin l'avait vu. Je voyais sur le lit la mare de photos étalées qu'il nous avait déjà montré et savais pertinemment qu'il n'en avait sorti que la moitié pour l'instant. Pourtant il ne s'était pas arrêté depuis qu'il était arrivé. Le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles semblait subjuguer Léa.

«Tiens, la voilà!» lui dit Robin en sortant un cliché de son dossier. «Elle date un peu par contre... Deux ans, quelque chose comme cela.»

Léa s'assit tout près de lui et il lui tendit la photographie. Et Léa se figea.

«Rassurez-moi, ce n'est pas moi?

- Tu ne te souviens pas de cette prise de vue?

- Si, évidemment, mentit-elle avec brio. Mais Stéphane ne m'a jamais montré le résultat alors je pensai qu'elle était loupée...»

Je me retenais de me lever pour pouvoir à mon tour voir enfin cette fameuse photo. Il fallait que je fasse semblant de parfaitement voir ce dont ils parlaient. Léa du pressentir mon malaise, car elle se leva et vint s'asseoir à côté de moi cette fois. Elle me tendit la photo. C'était elle, tout de noir vêtue et sur un fond tout aussi noir. Sa robe était chic mais simple, tout comme sa coiffure. Elle se tenait droite, la tête un peu relevée et semblait être en train de retirer un masque très vif et très stylisé du type «carnaval de Venise». Son regard, sans l'ombre d'un maquillage, était sensuel et trouvait écho en moi, me faisant vibrer malgré moi. J'inventais alors une justification, sans être totalement persuadé que c'était un mensonge:

«Oui, c'est ma préférée. Elle veut dire tellement de choses. Elle signifie que, même si tu te cachais derrière de sublimes artifices, moi je n'oublierai pas la femme sublime qui et derrière, simplement sublime.»

Un silence suivit ma déclaration. Léa semblait embarrassée et Robin nous scrutait avec une concentration anormale. Ah les femmes! Faîtes leur le plus sincère des compliments et elles continueront à croire que vous vous moquez d'elles. Je déposai un rapide bisou sur la joue de Léa, attendri.

«Dis Robin, tu restes déjeuner?

- J'aimerai bien: on mange toujours bien ici. Mais il faut que je file: j'ai théâtre plus tôt cet aprèm'. Mais une prochaine fois pourquoi pas?

- Comme tu les sens.»

Un nouveau silence s'installa, mais Robin le rompit rapidement.

«Sinon, vous profitez bien de votre semaine de congé?»

Sa remarque résonna en nous, du moins en moi, mais j'aperçu Léa se crisper aussi. On n'avait qu'une semaine pour retrouver la mémoire. C'était peu et déjà trois jours s'étaient écoulés. Il nous manquait encore beaucoup d'éléments pour ses remettre à vivre normalement. Certes Léa se savait scientifique, mais quelle était son entreprise? Aucune idée pour l'instant. Peut-être que la fouille de son appartement nous sera utile sur ce point. Pour moi, nous connaissions la société et mon boulot, mais je ne me souvenais de rien. Comment pourrais-je parler normalement avec mes collègues et mes clients?

«On profite plutôt bien pour l'instant. On prend notre temps, à se balader, à regarder les matchs de foot, à aller à une fête foraine. Et moi» ajouta-t-elle avec une note d'ironie «je suis même tombée malade. Je n'ai jamais le temps de tomber malade hors-vacances.»

Elle racontait cela avec tant de facilité. Etait-elle simplement douée pour inventer des histoires, ou improvisait-elle en fonction de quelques souvenirs émergents? Moi je préférai me taire de peur de dire une bêtise.

«Au fait, ajouta Robin. Je ne pourrais pas venir dimanche pour notre séance-photo habituelle. J'ai un rencard avec une beauté. Par contre, je te rends ça: j'ai fait réparer le flash.»

Il me tendait par-dessus le lit un appareil-photo qui devait être le mien. Je le pris avec précaution.

«J'ai pas vidé la carte-mémoire, au cas où tu voulais mettre tes photos sur ton ordinateur.

- Merci! C'était la bonne nouvelle dont tu me parlais au téléphone.

- Non, c'est vrai j'ai totalement zappé! Une maison d'édition aimerait t'acheter quelques-uns de tes clichés pour ses couvertures. Elle proposait même de te réserver certains contrats.

- Ce qui signifie...?

- Elle te présente une histoire. Elle te laisse prendre des photos et en choisit une qui lui plait. Ça paye bien, mais ce n'est pas souvent.... Juste pour arrondir ses fins de mois quoi. Je leur ai donné ton adresse mail de photographe au cas où cela t'intéresserait. Ils te contacteront. Par contre, fais gaffe Léa! Leur secrétaire est super mignonne.» ajouta-t-il avec un sourire taquin.

Et Léa lui tira la langue, à moins plus grand déplaisir

Comme deux étrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant