XXXII. Découverte du momentanément oublié

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La porte s’ouvrit sur une salle lumineuse. Prenant soin de nous essuyer les pieds sur le paillasson ‘Welcome’, nous entrâmes dans l’appartement. Il était de taille modeste, au moins quatre fois inférieure à celle de mon propre appartement. Le couloir d’entrée, blanc, ne contenait qu’un minuscule miroir et un porte-manteau. Evidement simple mais pratique, au vue du peu de place qu’il y avait. Léa passa le pas de la porte et je la suivais sans empressement. Soudain, quelqu’un toqua à la porte encore ouverte.

« Ma petite Léa ? »

Nous nous retournâmes de concert vers une petite vieille avec un paquet sous le bras et Léa s’avança vers elle avec un petit sourire timide.

« Bonjour, répondit-elle.

- Bonjour » la saluai-je à mon tour, comme en écho à Léa.

La vieille dame eut un léger mouvement de recul, presque imperceptible. Elle me lança un regard en coin, légerement inquiet et me salua brièvement de la tête. Lui aurai-je fait peur ? Pourquoi ce mouvement de recul quand elle avait aperçu mon visage ? Alors que je m’interrogeai, elle se tourna vers Léa et retrouva son sourire. Et elle lui dit, lui tendant le paquet de papiers colorés :

« Bonjour ma petite Léa. J’étais sure d’avoir entendu le bruit d’une clef dans ta serrure. Je t’ai réceptionné ton courrier, tiens ! Mais il y a surtout de la publicité. Ils ne savent décidément plus quoi faire pour vendre !

- Merci, lui répondit Léa avec un grand sourire. Merci beaucoup ! Il faut vraiment que je fasse réparer cette boite aux lettres.

- Oh non, ne t’inquiète pas de cela. Cela ne me gêne pas du tout. La factrice est une vieille amie. Et puis pour une fois qu’une petite vieille de mon âge peut se sentir utile. »

Elle lui fit un clin d’œil et le courrier changea de mains. Puis la retraitée prit son congé et Léa ferma la porte derrière elle.

« Je ne sais même pas qui c’est. C’est horrible. Je cherchais son prénom mais rien ne venait. »

Et elle soupira. Je me tournai vers l’appartement. Il était un peu vétuste, mais on voyait que l’entretien était sérieux et régulier. Il y avait peu de meubles, et ceux-ci tenaient plus du pratique que de l’esthétique. Une bibliothèque bien garnie, une toute petite armoire, un canapé clic-clac et une table de nuit. De l’autre côté se trouvait un coin ‘kitchenette’ visiblement peu pratique.

Mais c’est le mur au-dessus du canapé-lit qui attira mon attention. Il était tapissé de dessins d’enfants. Des dauphins et des sirènes, des dragons et des dinosaures, des maisons et des chiens, etc. Tous étaient adressés « à Léa », « pour la meieur animatice du monde », « pour Super-Léa » et tous portaient un prénom. « Lucas », « Mattéo », « Pauline », etc. Dans une pièce si simple, ce patchwork de couleur et de forme semblait donner toute son importance à cet appartement.

Léa me lâcha alors la main, et s’avança vers ce mur, le bras tendu en avant comme pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un mirage.

« Ils sont si beaux.

- Voilà peut-être ta passion à toi : les enfants. »

Elle acquiesça puis se mit à rigoler. Elle essayait de se contenir mais finit par s’abandonner à un rire franc.

« Cela fait un peu… pédophile ce que tu viens de dire.

- J’avoue, je n’y avais pas pensé. Mais admet que tu as l’esprit vraiment tordu aussi. »

Elle me tira la langue et s’assit sur le canapé.

« Tu sais quoi Steph’ ? J’ai peur, j’ai super peur… J’ai imaginé tellement de fois cette situation, j’ai visité tant de fois des appartements imaginaires dans ma tête pour me préparer à aujourd’hui. J’ai essayé de prédire un nombre incalculable de fois ce que l’on trouverait ici, tant de fois que maintenant, alors qu’on y est enfin, je ne veux plus fouiller. J’ai tellement peur que l’on ne trouve rien et que l’on soit déçus. Je me sens responsable. »

Je ne savais quoi dire : je ne comprenais pas. Elle avait tant insisté pour que l’on vienne ici. Elle avait fait des efforts pour trouver le code de l’immeuble. Elle avait cherché comment venir ici sur internet, avait mémorisé les moindres détails pour se guider jusqu’ici. Elle nous avait arrêtés en plein jeu pour venir ici. Et maintenant elle bloquait ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant que les choses étaient simples, qu’il suffisait de fouiller ? Je ne comprenais pas. Quelle était cette histoire de responsabilité ?

Je fis le parallèle avec ce qui s’était passé moins d’une heure auparavant, dans la rue. Elle avait pris peur. Un obstacle s’était à peine présenté à elle qu’elle avait totalement paniqué. Pourquoi une si vive réaction ? Après tout, il fallait avancer alors autant se faire à l’idée, non ? Elle semblait faire de la moindre difficulté une montagne, comme si elle cherchait à  tout anticiper. Et pourtant… Et pourtant, elle avait accepté l’amnésie si facilement, sans se décontenancer, et s’était contentée d’avancer. Et moi aussi d’ailleurs. Comment se faisait-il que l’on accepte aussi aisément quelque chose d’aussi anormal et déroutant ? Comme si l’amnésie appartenait à l’ordre des choses. De plus en plus intrigant…

De peur de dire une maladresse, je n’ajoutai rien. Je me contentai de lui tourner le dos comme si de rien n’était et d’aller ouvrir une des deux fenêtres. Il fallait qu’elle trouve du courage en elle-même et non dans mes paroles. Derrière la fenêtre, il y avait un petit, vraiment tout petit balcon avec une balustrade en vieil acier. Un balcon si ridicule qu’une seule personne pouvait s’y installer, et seulement en position debout. Lui aussi était sale, à l’image de l’immeuble, et un détail attira mon attention. Sans qu’il n’y ait aucune trace de mégot, il y avait un petit tas de cendres dans un coin du balcon. Intrigué, j’allai me baisser quand Léa me demanda :

" Stéphane, tu ne veux pas fermer la fenêtre s’il-te-plait ? Ça fait courant d’air. »

Content qu’elle soit sortie de ses sombres pensées, j’obtempérai illico.

Je la trouvais en train de fouiller sa petite armoire, et je la rejoignis.

« Que cherches-tu ?

- Rien de particulier. Juste des souvenirs latents. »

Elle ouvrit un des deux tiroirs qu’elle referma aussitôt.

« Hé ! Pourquoi tu fermes ? Ça m’intéresse moi !

- Euh… tu as vu ce qu’il y a dedans ?

- Bah oui. Réouvre !

- Stéphane ! C’est juste de la lingerie.

- Justement ! »

Je vis un peu de rouge monter sur ses joues. Que j’adorai la taquiner ainsi, elle réagissait si facilement. Je ne pus empêcher un sourire d’étirer mes lèvres. Elle l’aperçut et compris à ce moment que je me moquai gentiment d’elle. Et aussi prévisible que ce soit, elle me tira une nouvelle fois la langue.

« A force de la tirer, cette pauvre langue va finir totalement desséchée, tu sais.

- Tu seras toujours là pour la réhumidifier. Je ne me fais pas de souci pour cela. Oh ! Regarde ! »

Elle tira à elle un maillot de sport, un maillot de handball, dédicacé visiblement.

« T’as raison, change de sujet. »

Elle me tira une fois encore, comme pour me narguer.

Je la laissai alors à son armoire et me dirigeai vers la kitchenette. Le frigo était débranché et totalement vide. Léa avait-elle eu l’intention, avant son amnésie, de partir quelques temps ? Ou n’avait-elle pas les moyens de laisser branché son réfrigérateur ? J’optai pour la première hypothèse : après tout, la voix du message vocal avait sous-entendu que nous passerions la semaine ensemble, en amoureux. Mais comment allions-nous faire pour le repas de ce soir ? Je fermai la porte du frigo et y remarquai dessus, aimanté grâce à un papillon en pâte-à-modeler, quelques publicités dont une d’un traiteur chinois.

Cela fera l’affaire.

Comme deux étrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant