La maison jaune - Klô Pelgag
***24 mars 1946, quatorze heures
Elle s'est réveillée. Magdalena a ouvert ses beaux yeux depuis quinze minutes. Alexander est tout de suite allé la voir pour l'ausculter et me rassurer. Il se trouve qu'elle ne couvre qu'un méchant rhume et doit rester au chaud le plus possible. Alexander lui a donné un antalgique qui fera doucement mais sûrement descendre sa fièvre. Une fois rassurée, je peux de nouveau respirer. Pour prendre l'air, je pars seule me promener dans la propriété privée. Les chants emplis d'allégresse des oiseaux autour de moi me font sourire et j'ai l'impression de me plaire ici, vraiment. Mais les rumeurs sur moi ne cessent d'augmenter et je ne me sens plus aussi épanouie depuis leur venue... Peut-être que cette spirale de mensonges se finira si je partais d'ici... ?
Une fois rentrée, je me retrouve hypnotisée par le grand feu qui brûle dans le foyer depuis quelques heures déjà devant mes yeux et n'entends pas Alexander approcher. Ce dernier enroule ses bras autour de ma taille et pose son menton contre le sommet de mon crâne. Ses puissantes mains recouvrent mon bassin et m'attirent contre la surface rugueuse de son torse chaud. Je laisse s'échapper un long soupir alors que mes paupières se ferment. Bercée par les crépitements réguliers du feu et par la chaleur de celui-ci, je me sens divaguer. L'odeur boisée me rappelle la maison de mon oncle, perdue dans la campagne anglaise. Il avait pour habitude de faire du feu lorsque les températures descendaient en-dessous des dix degrés. Bon sang, il me manque tellement. La dernière fois que je l'ai vu remonte à si longtemps... Lorsque nous étions dans ces foutus abris antiaériens. La douleur me comprime la poitrine.
— Que vous arrive-t-il, Gabriele ?
La voix grave teintée de tracas du germanique me ramène sur Terre, mes yeux de rouvrent et mon regard se pose sur l'immense feu qui lèche les bûches jusqu'à les transformer en un tas de petits bouts calcinées. Un tas de cendres.
— Quand j'ai senti que Magdalena avait de la fièvre, je me suis inquiétée.
Comme le serait une mère pour son enfant, pensé-je intérieurement.
— Et c'est normal, ma douce. Ne soyez pas perturbée par ceci. Elle va bien.
Je me tourne vers lui, toujours blottie contre son buste et pose mes mains à plat sur ce dernier. Nos prunelles se croisent et ne se quittent plus. Il me coupe le souffle à chaque fois que je le regarde, c'est incroyable. La puissance de ses iris me scotchera toujours. La sincérité et la gentillesse qui traversent ceux-ci me touchent profondément. En avalant péniblement ma salive, je me mordille la lèvre inférieure.
— Non. Ce n'est pas normal. Je me suis inquiétée, comme si...
Les mots se bloquent soudainement dans ma gorge, mes lippes se scellent et ma langue demeure immobile.
— Comme si Magdalena était votre fille ? complète Alexander en caressant ma joue du bout des doigts.
J'opine du chef et pose mon front contre son torse. Automatiquement, ses grandes mains glissent derrière ma nuque. Une agréable vague de frissons me submerge dès lors que ses doigts entrent en contact avec ma peau.
— Comme si elle était ma fille, répété-je tout bas.
... Comme si mon instinct maternel s'était révélé pour la toute première fois de ma vie.
— Je vous comprends, Gabriele. Cette petite a besoin de nous, maintenant que ses parents ne sont plus. Elle a besoin de figures parentales.
On croirait entendre mon père. Je m'écarte et fuis le regard d'Alexander.
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...