Elevator song - Keaton Henson
***5 mars 1946, huit heures et quelques minutes
Là encore, je regarde à travers la fenêtre de mon séjour, mon père partir à bord d'une voiture noire bruyante qui dégage une épaisse fumée sombre et toxique dans l'air frais et matinal. La journée s'annonce pluvieuse et ennuyante. Je redoute le moment où je croiserais Alexander. Après ce qui s'est passé hier, je ne peux pas lui faire face sans rougir de honte. Pendant toute la nuit, j'ai cogité en me tournant et retournant dans mes draps en soie, dormant à moitié à cause de la fièvre qui est revenue mais également à cause de la voix du germanique qui hantait mes pensées. C'est lorsque le livre qui était posé sur mon nez est tombé au sol dans un fracas sourd que je me suis réveillée. Juste à temps pour saluer mon père, vêtu de son costume d'officier britannique.
Et maintenant, je regarde le feu réchauffer la pièce d'un air songeur. Les flammes orangées s'élèvent dans le foyer et lèchent les bûches qui se consument lentement mais sûrement. Encore fiévreuse, je frissonne malgré la chaleur du feu et décide de m'avancer vers ma coiffeuse afin de m'observer un instant. Mon reflet apparaît dans la grande glace ovale et j'y découvre sans surprise mon affreuse mine et ne vois qu'une jeune femme désespérée aux cheveux ébènes emmêlés et aux cernes marqués. Le corps enroulé dans ma robe de chambre argentée, je m'autorise à lâcher quelques larmes en repensant à ma meilleure amie décédée. Puis on vient toquer à la porte. J'essuie rapidement mes joues et demande à la personne de rentrer. Une domestique à la chevelure grisonnante vient déposer deux petites serviettes de toilette sur mon lit défait et repart aussitôt. Je n'ai à peine le temps de la remercier.
Prenant les tissus doux et râpeux, je sors de ma chambre et me mets à la recherche d'une salle de bains. Étant donné qu'il y en a sept au sein de la demeure, je ne tarde pas à en trouver une. D'après mon père, je peux même en avoir une attitrée. Alors j'ai choisi celle-ci : spacieuse, lumineuse et calme. Les quatre murs sont recouverts d'un papier peint représentant des tournesols jaunes et losanges blancs de la même couleur. Quant aux meubles, c'est plutôt simple tout en restant luxueux : baignoire et lavabo dont les robinets en or luisent tant ils sont propres, miroir ovale accroché au mur juste au-dessus du bidet et pour finir un sanitaire correctement récuré. Non, je ne m'étais pas lavée depuis mon arrivée car je n'osais pas m'aventurer ici. Ce n'est pas chez-moi et à Londres, les douches étaient rares dans les abris antiaériens.
Je me déshabille donc et pose mes pieds nus sur le carrelage froid de la salle. Même avec la fièvre qui ne semble pas vouloir me laisser en paix, j'ai froid. Rapidement, je monte dans la baignoire et tourne les robinets en or. Ce matériaux scintillant m'intrigue. Je me saisis du pommeau de douche, lui aussi en or, et le dirige vers moi. L'eau chaude glisse le long de mon corps dénudé tandis qu'un long soupir de plaisir s'échappe d'entre mes lèvres. je ferme les yeux et me délecte de ce moment de détente intime. Je me rends compte que des savons de toutes les formes sont posés soigneusement sur le rebord de la baignoire. Mon regard est de suite attiré par la savonnette rougeâtre en forme de cœur. Je l'apporte à mes narines et hume la senteur de rose. Mon parfum préféré.
Ça me rappelle les étés passés dans la campagne anglaise lorsque je n'étais qu'une petite fille épargnée par les horreurs de la guerre. Mes grands-parents maternels habitaient dans une grande maison et possédaient un potager. La variété des fruits et légumes m'a toujours impressionné. Ma grand-mère adorée avait planté un rosier près des carottes, ce qui était surprenant, et coupait les roses lorsque celles-ci avaient pointé le bout de leur nez. Elle m'en offrait en me les coinçant derrière mes oreilles. Heureuse, je me pavanais devant mes parents en les faisant rire. Je me souviens même qu'elle me disait que j'étais son petit rayon de soleil... Passons, je me savonne et apprécie l'odeur que prend ma peau. Alors que je m'apprêtais à sortir de la baignoire, je découvre avec stupeur qu'il manque mes habits propres. Mince ! Je ne vois que mes vêtements de nuit ainsi que ma robe satinée posés sur la chaise en bois près du sanitaire.
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Passion Ennemie
Исторические романыMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...