7. Douce balade

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Cold - James Blunt
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8 mars 1946, quatorze heures trente

Le soleil inonde la propriété privée et me rend de bonne humeur. Mon père est revenu manger à la maison rien que pour me voir. Selon lui, son travail lui prend beaucoup de temps et il ne peut pas se permettre de rester ici sans rien faire pour aider les habitants de la ville portuaire allemande. Le fait de le voir aussi peu m'attriste énormément car j'ai l'impression qu'il s'acharne à travailler, quitte à se noyer dedans, pour oublier le chagrin qui le ronge. Depuis la mort de ma mère, il n'a pas cessé. Mais ce midi, il paraissait heureux et riait aux blagues d'Alexander. Néanmoins, je sais pertinemment qu'il n'a pas oublié le portrait du Führer... Et il n'y a que moi qui connais la vérité. Alexander Wolfgang est une personne au cœur meurtri et au passé sombre. Son sourire, son attitude et sa façon de parler font en sorte qu'on ne puisse pas le cerner. Hélas, j'ai réussi.

Et aujourd'hui nous allons voir le haras qu'il possède. J'ai si hâte, c'est tellement exceptionnel ! Lorsqu'il toque trois fois à la porte de ma chambre, je ne peux pas m'empêcher d'être enjouée. Je lui ouvre et un large sourire étire ses lèvres rosées. Un chapeau melon est enfoncé sur son crâne, une longue veste noire couvre ses larges épaules tandis qu'il me regarde droit dans les yeux.

— Êtes-vous prête, Gabriele ?

J'opine du chef, tout sourire.

— Oh, vous n'imaginez pas à quel point !

Il rit doucement puis nous descendons les larges marches en marbre côte à côte. Nous croisons plusieurs employés que nous saluons rapidement. Dès lors qu'on sort, le froid attaque ma peau et je frissonne. Voyant que je suis frigorifiée, Alexander me propose d'accéder au haras à l'aide de sa voiture. J'accepte volontiers, sans même rechigner. Dans le véhicule, je frictionne mes mains entre-elles et tente de me réchauffer. Le germanique fait vrombir le moteur et nous voilà partis en direction des écuries de luxe. Une fois arrivés, je sors de la voiture et contemple l'immense bâtiment devant moi. De l'extérieur, j'entends les chevaux hennir et sens cette odeur de foin usé. Ça ne me dérange pas.

— Venez, me dit Alexander en s'avançant vers l'édifice en pierre.

Je le suis, impressionnée. Nous entrons dans le bâtiment et je contemple l'intérieur : le toit est en tôle, les boxes sont en bois et sont assez spacieux pour chaque équidé et la température ambiante leur permet de faire en sorte que leurs muscles ne se fatiguent pas. Je souris et m'approche d'un cheval dont la robe ambrée et unie le rend magnifique. Tendant une main vers son museau qui m'a l'air si doux, j'hésite. Soudain je sens le souffle d'Alexander dans ma nuque et me fige. Sa main vient recouvrir la mienne, ses doigts se mêlent aux miens et ensemble, nous touchons le museau de cet équidé majestueux. Et, effectivement, ce dernier est délicat en plus d'être tiède. Déstabilisée par les doigts du soldat emmêlés aux miens, je déglutis et sens mon cœur tambouriner contre ma poitrine.

— Je vous présente Ahorn, dit le germanique contre mon oreille.

Un violent frisson me parcourt l'échine. Bon sang, cet homme me fait ressentir des choses que jamais je n'aurais imaginé ressentir un jour.

Ahorn..., répété-je en essayant de reproduire l'accent. Qu'est-ce que son nom veut dire ?

— Érable.

Quel beau nom...

— L'avez-vous nommé en fonction de la couleur de sa robe ? l'interrogé-je en faisant volte-face.

Nos doigts se délient, nos regards se heurtent et nos visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Il louche sur mes lèvres et semble combattre le mal afin de ne pas en goûter la saveur. Le temps s'est arrêté, seuls nos souffles brefs et chauds fonctionnent encore. Nos nez se frôlent sans pour autant réellement se toucher. Et durant un instant, je ne rêve que d'une seule chose : qu'il me touche.

Passion EnnemieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant