21. Chagrin

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My love - Sia
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17 mars 1946, midi et quelques minutes

Assise sur la banquette arrière de la voiture en direction de la maison, je ne peux pas arrêter de penser aux yeux de ce bleu azur, presque irréel, de Magdalena. La tête orientée vers la fenêtre, le regard perdu dans le vide, je sanglote encore. Je refuse de penser que cette petite fille vive seule, dans le froid, sans toit ni famille. En voulant machinalement triturer mon médaillon, je suspends mon geste et pousse un long soupir qui n'échappe pas à Alexander. Je sens le regard concerné de ce dernier sur moi et refuse de croiser ses iris. Comment peut-il la laisser alors que sa maison pourrait facilement l'accueillir ? Visiblement aucune de mes larmes ne pourra rien y changer... La douleur qui comprime ma poitrine demeure insupportable et insistante. Boom, boom, boom, boom... Mon cœur tambourine contre ma cage thoracique et ne veut pas ralentir la cadence.

— Gabriele...

Je presse les yeux afin de m'empêcher de pleurer davantage.

— Arrêtez, parviens-je à articuler. Je ne veux pas vous entendre.

Il se tait, compréhensif. Je sais qu'il souffre, lui aussi. Mais tout ce que je souhaite désormais c'est retrouver mon lit et me rouler en boule sur celui-ci. Lorsque nous arrivons, je me rue à l'étage et m'enferme dans ma chambre. Ahanante et fébrile, je m'assois devant ma coiffeuse et considère mon reflet négligé et misérable : mes joues sont souillées de larmes en plus d'être rougies, mes lèvres tremblotent et mes yeux larmoyants me font de la peine. Je n'aurais jamais cru que de rencontrer une petite comme Magdalena me causerait un aussi grand tourment...

Cette encontre m'a coupé l'appétit. Je fuis mon reflet et réprime un gémissement de douleur. De douleur qui vient du cœur, de mon être ébranlé. Je me lève lentement, titube jusqu'aux fenêtres et contemple les branches des arbres qui, fines et solides, supportent le poids des divers oiseaux qui s'y posent. Inspirée et apaisée par les chants qu'ils proposent, je m'appuie sur le rebord d'une des vitres et ferme les yeux.

Je repense alors à cette petite fille dont le futur s'est retrouvé terni par cette terrible et inhumaine guerre. Cette petite fille qui, malgré elle, a perdu tout ce qui l'entourait. Mon médaillon, celui de ma mère, la protégera. Il fera en sorte qu'elle puisse garder foi en la vie même si cette dernière ne semble pas lui être favorable. Je ne peux pas m'empêcher de songer au fait qu'elle soit là, seule. Il faut que j'agisse, pour elle. Pour ma mère et Anne. Que diraient-elles en me voyant, si pitoyable ?

Je renifle et prends une grande inspiration. Mon père m'a toujours dit « Nous ne laissons aucun homme derrière. En temps de guerre, notre humanité est ce qui nous garde humains. » Et je sais qu'il a raison. Car la guerre est finie, mais pas celles des nations. Nations, qui se battent pour se reconstruire petit à petit. Et l'humanité est mise à rude épreuve.

Soudain, on toque à la porte. Je sursaute, arrachée à mes pensées. J'essuie rapidement mes joues et ordonne de me laisser tranquille. On toque à nouveau. Je ne réponds pas, les lèvres scellées et la gorge douloureuse. La porte s'ouvre et se referme délicatement, des pas lents résonnent et un parfum masculin flotte dans l'air. Mon cœur se fige dans ma poitrine et je garde les paupières closes. Un souffle tiède s'abat contre ma nuque, des mains glissent sur ma taille et me ramènent contre la surface rugueuse d'un torse. Alexander. Mon corps se tend dès lors que ses lèvres chaudes, entrouvertes et humides viennent effleurer mon oreille. Que va-t-il me dire ?

Es tut mir leid, souffle-t-il tout bas.

Je suis désolé.

— Lâchez-moi...

Passion EnnemieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant