Got it in you (acoustic) - Banners
***17 mars 1946, quinze heures et quarante-cinq minutes
Une pluie torrentielle s'abat sur la ville portuaire allemande. Un déluge tel, que nous ne voyons pas le bout d'une rue. La voiture s'immobilise, le moteur se coupe. Le cœur tambourinant contre ma cage thoracique, je descends en trombe du véhicule. Mes talons s'enfoncent dans une flaque d'eau qui m'asperge toute entière. Tant pis, je me retrouverais de toute manière trempée jusqu'aux os. J'entends Alexander m'appeler, je ne l'écoute pas, cherchant la petite du regard. Je ne vois que vide et n'entends que silence et désolation. Mes cheveux se plaquent sur mon crâne, mes habits contre mon corps. La pluie m'empêche d'apercevoir quoi que ce soit. Je me mets alors à l'appeler, impuissante et anxieuse. Où est-elle ?
L'écho de ma propre voix me répond douloureusement, violemment. J'entends la portière claquer, Alexander me rejoint. Aucun de nous deux n'a pensé à apporter un parapluie, ce n'est pas bien grave. Je l'appelle encore et encore. En vain. L'inquiétude me gagne, serre mon cœur et réduit ce dernier en cendres. Les doigts d'Alexander se lient aux miens, un frisson me parcourt l'échine. Tous seuls dans les rues désertes de Hambourg, nous nous mettons à appeler la petite, quitte à nous époumoner. Mes larmes salées se mêlent aux gouttes d'eau glacées. Ma gorge me fait mal à force de hurler son nom. Rien. Le néant. Je commence à me dire qu'il est trop tard, qu'elle s'est enfuie ou pire... Cette fillette mériterait tout sauf la mort. Elle est bien trop précieuse pour les ténèbres, bien trop innocente pour que les griffes du diable ne s'emparent de son âme d'enfant.
Soudain, Alexander me tire en avant et se met à courir, me hurlant de le suivre. Mains liées, nous bravons la pluie et vent frais. La pluie fouette mon visage, me déchire les poumons. Désorientée, je plisse les yeux pour tenter d'apercevoir quelque chose, mais rien ne m'apparaît. Tout d'un coup, nous ralentissons. Je distingue une vague forme dans l'épais rideau de pluie qui tombe sur mes épaules. Une forme humaine, misérable et infiniment petite. J'entends mon compagnon jurer entre ses dents et serrer davantage ma main. Plus nous nous approchons, plus la forme devient claire. Il s'agit de la silhouette d'une enfant, recroquevillée sur elle-même dans un coin, près de poubelles dégageant une odeur nauséabonde. Ses vêtements, autrefois immaculés, sont sales et imbibés d'eau. Je porte une main à ma bouche, sidérée. C'est elle. Je la reconnais.
Je lâche précipitamment la main d'Alexander, avance lentement vers Magdalena et m'agenouille devant elle, pantoise. Elle sanglote, frigorifiée. Le tonnerre gronde, elle tressaille. Je sais ce que ce gros et impressionnant bruit lui rappelle. Les bombes, pleuvant par dizaines sur la ville, anéantissant ses proches sur leur passage. Les impacts, les explosions... Tout lui rappelle ce qu'elle a vécu. Et je le sais, parce que ça me hante également. J'ose lever une main et venir caresser ses cheveux trempés. Elle relève la tête, ses yeux brillants de ce bleu azur me fixent avec une telle intensité, que j'en perds le souffle. Magdalena me dévisage longuement avant de se jeter à mon cou et de me serrer contre elle. Comme si sa vie en dépendait, et c'est le cas... Surprise, je mets un petit temps pour réaliser ce qui se passe, et l'enlace à mon tour. Cette fois-ci, le tonnerre gronde, mais elle ne sursaute pas. En sécurité dans mes bras, Magdalena sait qu'elle ne risque plus rien.
J'embrasse le sommet de son crâne et presse les paupières, permettant aux dernières larmes de couler. J'entends Alexander s'approcher de nous et nous envelopper de sa chaude veste en laine. La chaleur du tissu traverse mon corps tout entier et stoppe progressivement les tremblements de la pauvre petite. Son corps si frêle et pourtant si fort, contre le mien me fend le cœur. Ses iris se heurtent aux miens et je sais. La reconnaissance et le désespoir dans son regard me frappent de plein fouet. Elle souhaite que nous l'aidions, je le sens. Pas besoin de longs dialogues pour s'en rendre compte. Avant de déposer un doux baiser contre son front humide, je prends le temps de lui sourire. Un sourire qui semble lui redonner la joie qu'elle avait tant besoin. Sous la pluie déchaînée, nous nous relevons. Et lorsque je tends une main vers Magdalena, cette dernière la regarde un bref instant avant de s'en saisir. Sa poigne est ferme et vigoureuse.
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...