My Own - Whitaker
***8 mars 1946, dix-huit heures et quelques minutes
Nous avons passé le restant de l'après-midi auprès de l'étang à parler de tout et de rien, comme si nous nous connaissions depuis la nuit des temps, comme si nos âmes s'étaient perdues de vue depuis belle lurette mais s'étaient enfin retrouvées. Pendant nos discussions interminables et passionnantes, nos chevaux broutaient tranquillement à nos côtés tandis que la nuit tombait lentement sur Hambourg. Et désormais, nous sommes rentrés à la maison et nous nous réchauffons auprès du foyer d'où de géantes flammes orangées jaillissent. Je regarde anxieusement par la fenêtre de la salle, ne voyant pas la voiture noire ramener mon père. Que fait-il... ? Tout en triturant nerveusement le médaillon autour de mon cou, je me mets à imaginer le pire : et si mon père avait un problème ?
— Gabriele...
Alexander s'approche lentement de moi et saisit délicatement mon poignet qu'il serre à peine. Nos iris se croisent alors, s'hypnotisent et ne se quittent plus. Ma peau forme instantanément la chair de poule et mon rythme cardiaque est bien loin d'être régulier. D'une voix posée et calme, l'allemand tente vainement de me rassurer :
— Je sais bien que vous vous inquiétez pour votre père. Peut-être a-t-il eu un contretemps et a dû rester sur place.
Je me mords la lèvre inférieure.
— J'ai si peur, Alexander. Et s'il ne revient pas...
— Il reviendra, me dit-il en encadrant mon visage de ses larges mains.
Ma vision se brouille, je tremble. Depuis la mort de ma mère, la peur de voir mon paternel quitter ce monde cruel et injuste m'effraie. La pression de ses doigts, glissés derrière ma nuque, me permet de garder le contrôle de mes émotions, même si celles-ci veulent prendre le dessus.
— N'ayez crainte, souffle-t-il en m'attirant contre lui.
C'est alors que nous nous étreignons avec tendresse. Mon visage s'enfouit dans son cou, ses bras s'enroulent autour de mon bassin et nous restons là, enlacés, durant de longues minutes. Son souffle chaud et lent parvient à me calmer et notre accolade me fait un bien inimaginable. Je presse les paupières, en sécurité dans ses bras musclés. En me reculant, nos nez se frôlent, comme tantôt, et le temps se fige. Nous nous fixons, immobiles, les lèvres prêtes à s'accueillir mutuellement et le cœur battant la chamade dans notre cage thoracique.
— Vous êtes si belle...
Je rougis, flattée.
— Vous n'êtes pas mal non plus, réponds-je maladroitement.
Il sourit légèrement puis vient, du bout des doigts, effleurer mes lèvres. Je retiens mon souffle en frissonnant, que m'arrive-t-il ?
— Dès l'instant où vous avez posé un pied dans ma demeure, Gabriele, vous m'avez subjugué.
Cet homme finira par m'achever, je vous le dis.
— Oh vraiment ?
Il acquiesce sans cesser de loucher sur ma bouche, comme pour se convaincre de ne pas céder la tentation. Je vois bien qu'il en a envie et c'est réciproque. Cette attirance est de plus en plus forte et aucun de nous ne peut y faire grand-chose. À part se jeter dans la gueule du loup. Nos lèvres se rapprochent dangereusement mais pas assez pour se toucher. Nous en avons envie tous les deux, c'est évident. Mais avons-nous le droit ? Allons-nous passer outre le fait que nous devrions nous haïr, non nous désirer ? Cette passion interdite, dite ennemie, nous anéantira l'un l'autre.
— Vraiment.
Un ange passe durant lequel nous nous regardant dans le blanc des yeux, hésitants. Qu'allons-nous faire ? Soudain, Alexander entreprend de glisser à nouveau une main dans ma nuque et se penche avec lenteur vers moi. Figée comme une statue de cire, je le regarde faire d'un air ahuri. Et lorsque ses lèvres se posent sur les miennes avec toute la délicatesse du monde, je ferme les yeux, me délectant ainsi de cette sensation unique et inédite. Sa peau, humide et chaude, heurte précautionneusement la mienne.
Nos bouches timides se découvrent, se goûtent et s'apprécient pour la toute première fois. Nos cœurs battent à l'unisson, nos sens se mêlent et notre désir se décuple. Petit à petit, je m'abandonne au baiser et bientôt, nos lèvres jointent se meuvent aisément voire frénétiquement. Nos souffles désormais erratiques se mélangent et n'en forment plus qu'un. Il m'embrasse comme s'il ne souhaitait pas me briser. Je me presse contre lui, par crainte qu'il me quitte. Cet échange interdit nous lie secrètement. C'est plus fort que nous. La saveur tantôt sucrée tantôt amère de sa peau me surprend et j'aime ça.
Puis le baiser prend une toute autre tournure. Il devient fougueux, passionné, presque désespéré. Comme si nos âmes sabotées par la douleur et la guerre savaient que ce n'était pas la bonne solution. Mais mon corps n'est que brasier, mes lèvres qu'appétence et mes sens que souvenirs. Je suis perdue là, dans ses bras. Je sens les mèches de ses cheveux effleurer timidement mon front, ses mains me toucher et apprécier mon corps comme il se doit. Toute cette tension entre nous s'intensifie lorsque le germanique quitte mes lèvres pour dévorer ma nuque en y déposant une multitude de baisers mouillés.
Je me sens comme défaillir. Enfouissant mes mains tremblantes dans sa chevelure blonde, négligée, je soupire bruyamment et souris malgré moi. Mon cœur ne tient plus en place, je manque d'air et tressaille au moindre baiser de sa part. Je suis à lui, il est à moi. Il n'y a plus aucune barrière, plus aucun barrage. Pas même de haine ou de mépris. Juste douceur et tourment entre deux âmes déchirées par les atrocités d'une guerre sans merci. Dès lors qu'il revient sceller sa bouche à la mienne avec plus d'entrain et de hargne, je tremble de bonheur. De son côté, un long soupir rauque s'échappe d'entre ses lèvres rosées et pleines. Alexander aboutira à ma perte.
Mes mains viennent agripper les pans de sa chemise et l'attirent davantage vers moi. Je ne me contrôle plus. C'est fini tout ça. Je l'embrasse avec toute la force que je possède, frissonnant de partout. Ce baiser est voulu, désiré. Nos corps bouillonnants et envieux nous le font savoir. C'est presque irréel. Je crois rêver éveillée mais non, tout est réel. Son toucher, sa peau, son odeur, ses baisers... Mes doigts glissent à nouveau de sa chemise à sa chevelure décoiffée et y restent. Haine, mépris, méfiance, peur, douleur. Tout disparaît. Je lâche un long soupir, hors d'haleine. Il détient mon cœur et peut détruire celui-ci à tout moment. Il possède la clé vers le chemin semé d'obstacles menant à mon âme tourmentée.
Consumée par ce vif brasier qui dévore mon bas-ventre, je souhaite déboutonner sa chemise mais il m'arrête en interceptant ma main. Il place celle-ci sur sa poitrine, au-dessus de son cœur. C'est alors que je sens les battements effrénés de ce dernier. Il bondit furieusement sous mes doigts. Je souris sans pour autant faire taire ce baiser si personnel. Alexander veut me montrer l'effet que j'ai sur lui. Et j'espère qu'il sait que c'est mutuel.
Mais ce plaisir prend brutalement fin lorsqu'un moteur de voiture gronde dehors et nous force à nous séparer douloureusement, rapidement. Trop rapidement. Je regarde par la fenêtre. : mon père est rentré. À bout de souffle et ébranlée, je peine à retrouver mes esprits et regrette aussitôt ce moment inoubliable bien qu'interdit. Qu'est-ce qui m'a pris ? Suis-je devenue folle ? Cette aventure doit cesser... Ne pouvant pas rester dans la même pièce que le médecin « ennemi » que je viens d'embrasser sans en mesurer le danger, je m'enfuis en courant pour m'enfermer dans ma chambre et réaliser ce qui vient de se dérouler. Je reste la soirée dans la pièce à tourner en rond tel un lion en cage, ressassant en boucle la scène dans ma tête. Je n'ose même pas descendre pour le dîner. L'estomac retourné et le cœur en vrac, je me couche le ventre vide, les dernières pensées d'Alexander Wolfgang sur mes lèvres.
***
BONSOIR !
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Bonne soirée mes petites lunes <3
Nolwenn ☾
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...