2. Méfiance

1K 121 85
                                    

Medecine - Broods
***

4 mars 1946, neuf heures et demi

Je me réveille doucement, bercée par la pluie qui bat contre les fenêtres de ma chambre. Soudain, le tonnerre gronde et me fait sursauter. Ça me fait penser aux nombreux bombardements qui nous ont détruits jadis. Aussitôt, je me couvre les oreilles en plaquant mes mains dessus et ferme les yeux, tremblante. Un vif mal de crâne me vrille les tempes alors que je me rappelle des événements d'hier soir. Lors du premier dîner que nous avons partagé avec Alexander dans son immense salle à manger, ce dernier nous a proposé en fin de repas de goûter une liqueur de cerise. Étant donné que je ne tiens pas l'alcool, j'ai préféré m'arrêter au premier verre contrairement à mon père qui est resté avec Alexander. Ce dernier savait que l'atmosphère était tendue à table car je refusais de lui parler directement parce qu'il est allemand. Techniquement, c'est un inconnu pour moi. Je pense que c'est pourquoi l'alcool est arrivé sur la grande table ovale : apaiser les nerfs tendus. Mon attitude irrespectueuse énervait mon paternel qui insistait pour que je fasse preuve de politesse. Hélas, j'ai terminé mon verre et me suis enfuie dans ma chambre.

En me levant, je m'avance vers ma coiffeuse et me contemple dans le miroir en face de moi : mes cheveux ébène sont emmêlés, mes yeux ensommeillés sont rougis et mes doigts crispés autour du médaillon de ma mère. Je détourne les yeux et viens poser mon regard sur la fenêtre derrière la coiffeuse. La pluie continue de s'écraser contre la vitre froide tandis que les multiples gouttes font la course sur celle-ci. Je frissonne et me rends compte que le feu qui alimentait la pièce en chauffage s'est éteint. Partant chercher un châle dans ma valise, posée non loin de moi, je me retrouve à être indécise : comment vais-je me vêtir aujourd'hui ?

Je décide de mettre un chemisier blanc en dentelle que je coince dans ma jupe en coton qui me recouvre les genoux. Tout en démêlant mes cheveux fins à l'aide d'une brosse, j'entends toquer à la porte. Le tonnerre gronde à nouveau et me fait encore une fois sursauter.

— Mademoiselle Wilson ? fait une voix féminine à l'accent germanique étouffée par l'épaisseur de la porte en bois. Le petit-déjeuner est servi, votre père et Monsieur Wolfgang vous attendent !

Oh non. Je ne veux pas les affronter. Surtout pas cet homme au regard froid, mystérieux et profond. Derrière cette façade sévère et impassible se cache quelque chose, mais quoi ?

— Mademoiselle Wilson ?

Je déglutis et réponds :
— Merci ! J'arrive de suite !

Je n'ai pas le choix, mon estomac crie famine et le petit-déjeuner est important. J'attache quelques mèches de cheveux brunes à l'aide d'une barrette et prends une grande inspiration. Je me saisis ensuite du médaillon et l'apporte à mes lèvres.

— Sois avec moi, maman...

Je sors de la pièce, la tête haute et les épaules en arrière. Je descends les larges escaliers recouverts de rouge et me dirige vers la salle à manger où aucun son ne semble résonner. Lorsque je fais irruption dans l'immense pièce, je découvre mon père en train de toiser Alexander qui l'ignore superbement. Que s'est-t-il passé ? Peut-être que mon paternel s'est enfin rendu compte que cet inconnu nous dissimulait son passé en se façonnant une fausse image de gentil homme riche ? Et si tous mes doutes étaient réalité ?

Je suis complétement perdue face à la situation et ne sais plus où donner de la tête.

— Oh, Gabriele ! fait mon père en me voyant figée comme une statue près de l'entrée. Viens manger quelque chose, les cuisiniers ont fait un excellent travail !

Passion EnnemieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant