Illuminate - Wildes
***12 mars 1946, neuf heures
Comme prévu, je me réveille, seule. Mes yeux sont collés et il m'est difficile de me lever. Je jette un rapide coup d'œil à la fenêtre et constate que le soleil a remplacé la pluie matinale. Ma taille, autrefois protégée par les puissants bras de mon amant, est libre et ma peau frissonne de manque. Elle réclame la sienne. En vain. Mes lèvres pincées qui gardent la saveur sucrée et salée des siennes, sont avides de leur présence. Il m'a promis de rester jusqu'à ce que le jour se lève, c'est chose faite. Je me redresse alors et me frotte les yeux, ensommeillée. Aveuglée par les rayons du soleil qui réchauffent ma peau même à travers les carreaux, je m'oblige à me lever et m'étirer. Sans plus tarder, je m'en vais prendre une douche et croise la route de plusieurs domestiques qui nettoient, rangent et animent l'immense maison. Je les respecte totalement et ce, jusqu'à mon départ. Qui, je l'espère, ne sera pas pour tout de suite...
Pendant le petit-déjeuner, personne ne parle. Un lourd silence s'installe et une atmosphère gênante fait son entrée. Mon père, assis à mon opposé, beurre ses biscottes en évitant mon regard et boit son café sans attendre que ce dernier ne soit plus bouillant. Il n'est pas encore totalement sobre et ça se voit rien qu'à sa gestuelle bien trop lente. Quant à Alexander, il s'est posté à mes côtés. C'est la première fois que nous sommes aussi proches en public, sous le regard méfiant et fielleux de mon père. Mais ce dernier nous ignore superbement et ça me pince le cœur. Oui, je ne lui pardonnerai pas. Mais je l'aime malgré tout. Ma mère m'a toujours dit de profiter du moment présent et de mes proches tant qu'ils sont encore là. Et elle avait raison sur toute la ligne. Hélas, je n'ai jamais eu assez de temps avec elle ou Anne. Leur présence me manquent et ébranlent mon cœur d'ores et déjà mutilé, anéanti, endolori et fatigué par le deuil et la douleur.
Pour ne pas flancher, je pense aux baisers que nous avons tantôt échangé, Alexander et moi. Mais mes doigts tremblent et font entrechoquer les couverts en argent que je serre fort. Je n'en peux plus. Sur un coup de tête, je me lève et fais grincer bruyamment les pieds de la chaise qui glissent sur le parquet. Les regards des deux hommes se tournent vers moi mais je ne fixe que mon père. La gorge nouée et l'estomac retourné, je redresse mon menton et déclare d'une voix tremblante d'émotion :
— Lorsque tu seras assez sobre pour réfléchir par toi-même, tu te rendras compte que ta fille est heureuse ici. Il te paraîtra alors évident qu'elle n'a pas l'intention de quitter cet endroit sans se battre pour sa liberté, ses amours et ses peines.
Mon père me fixe, interloqué. Il demeure silencieux et seul un tic nerveux relève le coin de sa bouche pincée. Je lui adresse un regard noir puis décide de quitter la pièce en faisant claquer mes talons qui martèlent le sol avec force. Ma démarche est assurée mais au fond, je suis détruite et l'envie de pleurer me tente. Pas de tristesse. Non. De rage. De frustration. Je sais que lorsque je lui ferais face, il me passera un joli savon et me dira à quel point je suis irresponsable et complètement folle.
Je sors dehors et prends un temps pour observer le magnifique paysage qui s'offre à moi. Les multiples arbres, encore dépourvus de feuilles, commencent à renaître. Le soleil lèche leurs branches nues et réchauffe l'écorce. Le givre a blanchi l'herbe verte et figé les fleurs. La nature semble en pause. Seuls les oiseaux chantonnent. Leurs diverses mélodies fendent l'air frais. Rien que pendant une seconde. Je grelotte mais peu importe : je suis entourée par le calme. Les battements de mon cœur qui, lors de ma petite scène, étaient affolés sont désormais réguliers et apaisés. Je ferme les yeux et hume l'odeur de l'humidité, de la fraîcheur de la brise qui agite mes cheveux et du chagrin qui ne tarde à me rattraper.
Puis deux bras encerclent ma taille pour me ramener contre une surface rugueuse et mon cœur s'emballe à nouveau. Alexander. La chaleur de son corps atteint le mien et me réconforte aussitôt. Son souffle chaud s'abat contre ma nuque et ses lèvres humides et entrouvertes se déposent sur la peau de cette dernière. Je frissonne en sentant sa bouche goûter à mon épiderme avec douceur et contemple l'horizon d'un regard mélancolique. Sa poitrine se soulève et s'abaisse à un rythme régulier contre mes omoplates et cette proximité suffit à me calmer quelques instants.
— Ce que vous avez dit... C'était très impressionnant. Vos paroles ont tant perturbé votre père que ce dernier s'est enfuit dans ses quartiers.
— Je n'en pouvais plus, Alexander. Je voulais que cela cesse et que nous puissions nous voir sans à avoir à nous cacher. Je veux pouvoir—
— ...Vivre.
Je me retourne lentement et plante mon regard dans le sien. Tout en le détaillant sans discrétion, je souris. Ses longs cils effleurent ses pommettes, ses lèvres rosées que je rêve d'embrasser encore et encore sont entrouvertes et laissent passer un mince filet d'air chaud. Quant à ses yeux... Ils sont magnifiques et brillent d'espoir. Tout ce que je souhaite. Ses doigts viennent frôler mes joues et coincer quelques mèches de cheveux derrière mes oreilles. Sans me quitter du regard, il esquisse un mince rictus et laisse son pouce vagabonder sur mon visage jusqu'à trouver ma bouche qu'il touche avec délicatesse. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale et hérisse ma chevelure recouvrant la base de ma nuque. Son effet sur moi est incroyable et il le sait. Soudain sa respiration s'alourdit tandis que sa voix rauque, grave et éraillée se répercute en moi.
— Vous êtes la femme la plus têtue et intelligente que je connaisse. Votre beauté resplendissante ne vous définit pas, vous souhaitez que l'on vous remarque grâce à votre cœur gros comme le monde et sensibilité qui m'attire comme un aimant. Vous faites vibrer mon corps de passion et amour. Je n'ai jamais ressenti une telle chose avant votre arrivée dans ma vie, Gabriele.
Sa longue et poignante tirade me touche profondément et mes yeux me piquent. Bon sang, il est doué pour manier les mots. Ses mains encadrent désormais mon visage. Son regard s'est soudé au mien.
— Votre désir de liberté me rappelle mon frère. Lui qui ne voulait jamais faire comme tout le monde et souffrait en silence. Vous savez, il ne s'est jamais remis du départ de notre mère. Il lui en voulait tellement de nous avoir abandonné. Alors vous voir lutter contre votre haine et peine m'a montré que je n'étais plus seul.
Pas un mot ne franchit mes lèvres scellées. L'émotion me broie les entrailles, me fait perdre la raison. Mon cœur oscille dans ma poitrine comme une horloge mal réglée. Alors pour lui montrer ma gratitude, je me hisse sur la pointe des pieds et l'enlace. Ses bras me serrent fort, de manière possessive, comme si je n'appartenais qu'à lui, et à lui seul. Et j'espère secrètement que c'est le cas. Son visage s'est niché dans mon cou et je peux sentir sa respiration brève effleurer mon oreille. Ce moment est unique et je voudrais qu'il s'éternise jusqu'à ce que nos deux corps ne soient que poussière d'étoiles. Malheureusement, il s'écarte. Ses lèvres effleurent les miennes, légères comme la danse des papillons de nuit. Le baiser s'intensifie et nos bouches se pressent davantage l'une contre l'autre. La chaleur qui naît de cet échange nous enveloppe tout entiers. J'entrelace mes doigts derrière sa nuque et sens mon bas-ventre s'embraser, comme lors de notre passage à l'acte.
Sa bouche goûte mes lèvres, ma langue, mes dents, tout. Mes sens se décuplent et je n'y vois là que l'essence même de nos deux âmes éperdument amoureuses et tourmentées. Ce baiser est si bon, si sincère, si voulu. Nos souffles se mêlent et je crois défaillir plus d'une fois. Et je pense que cœur ne suit pas, lui non plus. Une éternité plus tard, nous nous détachons l'un de l'autre, il me sourit. Nous sommes si proches que je peux sentir le pourtour de ses lèvres d'où le souffle tiède et saccadé ne sort que pour s'engouffrer entre les miennes.
— Merci, balbutié-je lorsque la capacité de parler me revient.
Il rit doucement et me vole un rapide baiser qui finit de m'achever.
— Nous ferions mieux de rentrer à l'intérieur, vous êtes gelée.
J'acquiesce puis nous rentrons côte à côte, la tête dans les nuages. Un baiser, une agréable consolation et des paroles qui marquent bien des esprits. Quel début de journée mouvementé.
***
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Bonne journée mes petites lunes <3
Nolwenn ☾
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...