6. Cœurs et cauchemars

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Find you - Ruelle
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7 mars 1946, huit heures

Je me réveille en sursaut, en criant, le corps en sueur. Je me suis tournée et me retournée dans le lit, les draps se sont entortillés autour de moi comme pour entraver mon être. Et je lutte contre des souvenirs que je voudrais oublier mais en vain, ils seront toujours là. Je revois ma mère, ma meilleure amie, les amis juifs disparus à Auschwitz et l'émotion me submerge. Mon cœur se serre et je sens comme si l'on me plantait un couteau dans la poitrine. Je me mets alors à crier, de nouveau, de toutes mes forces. Mes cordes vocales vibrent et me font mal. C'est comme si l'on me les arrachait à mains nues. Le temps que je reprenne mes esprits, mon père et Alexander ont fait irruption dans mes appartements, affolés. Mon paternel se précipite auprès de mon chevet et me prend la main, l'air soucieux. Il sait que mes cauchemars me hantent depuis bien longtemps, il est le seul à être au courant.

Sweetie, commence-t-il doucement, tout va bien. Calme-toi, tu es en sécurité ici.

Sa voix posée et rassurante me ramène rapidement à la réalité. Je me redresse tandis qu'il m'attire contre lui et me serre dans ses bras. La chaleur de son corps apaise les battements rapides de mon pauvre cœur et sa présence me fait plaisir. J'aime lorsque mon père prend le temps de venir me voir et m'étreindre de cette façon... Je tremble là, impuissante. Les larmes ruissellent sur mes joues et mes sanglots étouffés résonnent dans la pièce. J'ai l'impression qu'on m'épie avec compassion et douleur, comme si l'on partageait mes cauchemars sans pour autant en avoir la connaissance.

Le visage enfouit dans le cou de mon père, je m'écarte légèrement et lève la tête vers Alexander. Ce dernier me fixe sans ciller, le regard brillant et les lèvres pincées. Fait-il des cauchemars, lui aussi ? Ses mains, enfoncées dans les poches avant de son pantalon, bougent activement. Sa mâchoire tressaute et ses iris ne cessent de me sonder afin d'y déceler une quelconque émotion commune. Il s'avère que nous ne sommes pas si différents, lui et moi.

— Je vais devoir y aller, Gabriele.

Je m'accroche à mon père comme si ma vie en dépendait.

— Non... ! Ne pars pas en ville, pas aujourd'hui ! S'il te plaît...

Il se détache de moi, embrasse mon front puis le sommet de mon crâne. Je presse les yeux, dépitée.

— Je suis désolé mais ma présence sur le terrain est indispensable, ma chérie. Je te promets de revenir avant la tombée de la nuit. Je t'aime.

Son regard croise le mien et un voile de sincérité traverse ce dernier. Je le crois mais suis certaine qu'il ne tiendra pas parole. La détresse dans ma voix éraillée n'a pas suffi à le retenir. Puis le général britannique, vêtu de son uniforme décoré, m'envoie un baiser volatile et s'échappe de la pièce non sans lancer un regard noir en direction du médecin. Ce dernier n'a pas bougé et n'a pas réagi. Mais lorsque mon paternel est enfin hors de portée, il s'approche et reste à une distance raisonnable de moi. Ses pupilles ténébreuses et mystérieuses cherchent les miennes et les trouvent sans aucun souci. La puissance de son regard me trouble sincèrement. Sans surprise, la machine sous ma poitrine s'emballe et cette fameuse tension charge la pièce, nous écrasant de son poids.

— Allez-vous mieux, Gabriele ?

Je déglutis et me rends compte que ma gorge est déshydratée en plus de me faire mal. Malgré tout, je hoche la tête et baisse les yeux vers mes jambes nues enroulées autour des draps. Gênée, je les recouvre de ma couette et rougis.

— Je vais demander à une domestique de vous apporter un pichet d'eau fraîche, vous transpirez. Que diriez-vous d'un bon petit-déjeuner pour vous remettre de vos émotions ?

Passion EnnemieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant