Figures - Jessie Reyez
***11 mars 1946, quinze heures et quarante minutes
Alexander me caresse les cheveux avec douceur alors j'effleure les lignes parfaites de ses pectoraux qui ne cessent de me fasciner. Sa peau forme la chair de poule. Mon toucher l'électrise. Son corps réagit comme le mien lorsque ses doigts effleurent mes courbes. Allongés à même le sol autour de foin, nous avons fait l'amour pour la toute première fois. Nous nous sommes unis et avons lié nos âmes meurtries par la guerre afin qu'elles puissent se soigner mutuellement. Comme par peur de ne plus pouvoir exister dans un monde pacifique. Et alors qu'un silence reposant s'installe entre nous, Alexander se redresse légèrement et me fait face. Son souffle chaud effleure mon visage et nos iris se heurtent. L'intensité de son regard me coupe le souffle. Il me dévisage longuement avant de m'adresser un mince sourire qui me fait craquer.
— J'aimerais que ce moment ne finisse jamais, souhaite-t-il.
En venant doucement écarter une mèche blonde qui errait sur son front, je souris et acquiesce silencieusement. Mon cœur se serre soudainement lorsque je repense à la rapide discussion avec mon paternel tantôt.
— Moi de même. Je n'ai pas envie de retrouver mon père...
Alexander soupire.
— Il se méfie de moi, c'est normal. Vous étiez sceptique à votre arrivée, vous aussi.
— Évidemment ! Mais c'était avant de vous connaître, de savoir qui se cache sous ce visage angélique et parfait.
Flatté, le germanique rougit légèrement et se replace correctement à mes côtés.
— C'est gentil de votre part, Gabriele.
Je souris puis me redresse, serrant l'habit contre ma poitrine découverte, intimidée. Et pourtant, l'homme qui se trouve à mes côtés a vu mon corps entièrement nu de ses propres yeux. Mais c'est ainsi, c'est un geste machinal. Je me mets à observer les alentours, écouter le chant joyeux des oiseaux se mêler aux hennissements des chevaux et fermer les yeux, apaisée.
— Cet endroit est si calme, murmuré-je.
Le souffle régulier et chaud d'Alexander s'abat contre ma nuque alors que ses douces lèvres se posent dans le creux de mon dos. Presque instantanément, la chaleur de sa bouche humide contre mon épiderme irradie mon corps jusqu'à mon cœur qui s'active brusquement. Les rouages, abîmés par le chagrin, se mettent à fonctionner de façon soudaine. Un long soupir s'échappe d'entre mes lèvres, j'aime ça. Mon bas-ventre s'enflamme et je n'ai qu'une idée en tête : l'embrasser. Je tourne alors la tête vers lui, attrape son visage entre mes mains et plaque hâtivement mes lèvres contre les siennes.
À son tour de soupirer. Ses muscles se détendent aussitôt et nous nous embrassons durant de longues minutes. Puis nous nous étreignons encore et encore jusqu'à ce que le moment de se rhabiller n'arrive. Hélas. Nous nous revêtons en silence, l'un comme l'autre préoccupé par les répercussions de cette relation secrète et ennemie. Alexander me conseille de partir en première afin de ne pas éveiller les soupçons. Il rejoindra la maison bien après moi. Lorsque je m'apprête à quitter les écuries, je me retourne vers lui et lui coule un regard anxieux auquel il répond par un clin d'œil complice. Puis je pars.
Dès lors que je pose un pied sur le carrelage de la demeure, mon père me tombe dessus et me fait sursauter. Il paraît désemparé, presque minable, une bouteille d'alcool à moitié vide à la main. Ses joues sont souillées de larmes et il peine à garder l'équilibre. Le voir dans cet état me fend le cœur parce que j'ai la douloureuse impression de revoir l'homme détruit par le deuil, celui qui m'a abandonnée et m'a laissée seule lors de la mort de ma mère. Je refuse cette vision atroce, ce cauchemar bien trop réel pour parvenir à me blesser directement.
— Je suis désolé, bafouille-t-il en souriant les yeux brillants.
Je secoue la tête et m'avance doucement, la main tendue vers la bouteille que tiennent ses doigts tremblants. Je m'en saisis et l'écarte de lui, le cœur battant de façon infernale dans ma poitrine. Je pose le bourbon sur une petite table à mes côtés. Et puis soudain, mon père tombe à genoux et sanglote, s'apitoyant sur son sort. Il s'effondre devant moi, impuissant. Je m'apprête à m'agenouiller mais Alexander apparaît et me questionne silencieusement du regard. Je lui fais comprendre que mon père a besoin de réconfort mais surtout d'une bonne dose de sommeil. Ce dernier est épuisé. Il vient alors m'aider à le porter jusqu'à dans sa chambre et le border. Le germanique me laisse ensuite seule avec lui, jugeant que ce moment est nécessaire en plus d'être privé. Bouleversée, je reste en retrait et le dévisage d'un air blessé. Mes yeux se mettent à piquer et je me retiens de fondre en larmes, à mon tour. Mon père gémit et regarde autour de lui, perdu. Puis ses iris rencontrent les miens et tout s'arrête.
— Gabriele...
Je me mords la lèvre inférieure, pantoise. Que dois-je faire ? M'approcher et l'écouter me répéter à quel point il est désolé et qu'il me promet de ne plus recommencer ? Je connais cette chanson par cœur. Décontenancée, je finis par céder et viens m'assoir sur le rebord de son lit. D'une main hésitante, je viens effleurer sa joue et sourire, taciturne.
— Repose-toi, papa.
Il fait non de la tête et attrape mon poignet en douceur pour éloigner ma main de son visage dont les traits sont tirés par la tristesse.
— Non. Écoute-moi. Je sais que je n'ai pas toujours été un père exemplaire. J'ai sombré, encore et encore sans jamais sortir la tête hors de l'eau. Tu as raison, ta mère n'aurait pas voulu me voir dans cet état.
Ma gorge se noue, mon cœur se serre et mon estomac se retourne. Submergée par un tas d'émotions contradictoires, je baisse les yeux et presse les yeux.
— Pardonne-moi, encore. S'il te plaît.
Cette fois-ci, je pleure vraiment. Je me défais de son étreinte et lui lance un regard attristé.
— Je ne suis pas sûre de pouvoir le faire, papa. Tu ne m'as pas laissée te montrer à quel point Alexander est un homme gentil et attentionné. Et puis tu te morfonds et te noies dans l'univers sombre de l'alcool pour oublier ta peine immense.
Il me fixe sans ciller, consterné.
— Ne serais-tu pas en train de tomber pour cet allemand Nazi ?
Nazi. Je serre les dents à l'entente de ce mot et me relève, révoltée. Je ne supporte pas que mon père mette une étiquette sur lui sans avoir appris à le connaître. Ça me touche particulièrement parce que je l'aime. Et j'aime les deux hommes qui constituent ma vie. Seulement, l'un méjuge et l'autre demeure à l'écart, ne sachant pas comment agir. Mon cœur est déchiré en deux et je ne sais que faire.
— Cet allemand Nazi, répété-je avec mépris, est un homme au cœur fait d'or et diamants. Il m'a montré que la haine et la peur ne résoudront rien à part terrasser le monde meurtri par les conflits. La guerre a divisé bien des cœurs et nations. Mais jamais l'espoir.
Suite à ces mots, je tourne les talons et fuis la pièce telle une furie. En sortant, je tombe nez à nez avec Alexander. Il a tout entendu, c'est certain. Ses yeux bleu/gris cherchent les miens et semblent vouloir me soutenir dans cette mauvaise passe. Mais j'évite son regard et prends une grande inspiration. Voulant être seule un instant, je cours en direction de ma chambre et m'enferme à l'intérieur de celle-ci. Je me plaque contre la porte et me laisse lentement glisser jusqu'à ce que mes fesses rencontrent le parquet. Les larmes coulent en continu et je me demande bien quand tout ceci s'arrêtera enfin. Bientôt ? Un jour ? Ou bien jamais ? Je ne le saurais sans doute pas avant longtemps.
Hors d'haleine et dans un état minable, je me lève et m'avance d'un pas las jusqu'à ma table de nuit. La boîte à musique est là, juste à côté de mon lit. Tout en reniflant, je m'allonge sur le matelas et ouvre la boîte. Je contemple la danseuse en sentant mes paupières devenir de plus en plus lourdes. Contrariée par la situation, je finis par m'endormir, enroulée dans mes draps bercée par « La Lettre à Élise » et ayant la peau parfumée par l'odeur de mon amant.
***
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Bonne fin de journée mes petites lunes <3
Nolwenn ☾
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...