District 12 ruins - James Newton Howard
***17 mars 1946, onze heures et quarante-cinq minutes
J'erre dans les rues dévastées, le nez en l'air et l'esprit ailleurs. En attendant Alexander qui est toujours chez sa patiente, je me suis éloignée de la maison de celle-ci pour découvrir Hambourg. Hélas pour moi, ma petite balade se transforme en un véritable cauchemar quand des regards malveillants et chuchotements indiscrets, me dérangent. Je garde la tête et le menton hauts, fixant un point à l'horizon. Mon cœur bat si fort que j'en ai presque mal. Ces coups d'œil me rendent nerveuse, c'est désagréable. Je les sens glisser sur mon dos et atteindre ma cage thoracique. Vivement que le germanique me revienne, je n'y arriverai pas seule.
Mes yeux curieux et explorateurs se posent sur les ruines d'une maison en pierre qui ne tient plus que par ses fondations, puis sur une petite fille, assise sur les marches miraculeusement intactes de la demeure. Prudemment, je m'approche d'elle et remarque qu'elle sanglote doucement, les genoux ramenés contre sa poitrine et la tête enfouie dans ses bras. Ses pleurs aigus résonnent dans le silence étouffant de la ville. Je ressens sa douleur d'ici. Sa douleur qui, avec puissance, vient perforer mon cœur d'ores et déjà fragile.
— Hé... Comment t'appelles-tu ? lui demandé-je doucement en m'agenouillant devant elle, priant pour qu'elle comprenne l'anglais.
Le tutoiement rend la chose plus facile, c'est comme me parler à moi-même...
Elle relève doucement la tête et me dévisage un instant. Ses yeux d'un bleu azur me surprennent, ils sont si intenses que j'en perds les mots. J'ai l'impression d'y voir le Paradis. Toute la souffrance qui l'ébranle me touche profondément. Ses lèvres fines et gracieuses tremblotent et une avalanche de larmes silencieuses creuse des sillons sur ses joues rebondies. Ses longs cheveux blonds et emmêlés tombent en cascade sur ses épaules, cachant une partie de son visage. Son teint pâle fait ressortir ses yeux magnifiques. Et ses vêtements immaculés me font penser à un être céleste. Cette enfant est un ange déchu, une beauté du ciel.
— Magdalena, me révèle-t-elle d'une toute petite voix à l'accent fort prononcé. Mais mes parents m'appelaient Magda.
Appelaient... ? Ce verbe conjugué à l'imparfait me fait tiquer. La douceur qui émane de son âme vient apaiser les maux qui perturbent la mienne.
— Très beau prénom. Dis-moi..., que fais-tu ici toute seule ?
L'enfant baisse aussitôt ses yeux larmoyants et se mordille les lèvres. Elle renifle et presse les paupières, accablée par ce chagrin qui la bouscule telle une tornade. Je tente de prendre délicatement ses fins poignets mais elle me repousse en tressaillant. Je me recule légèrement et la laisse tranquille. Jusqu'à ce qu'elle me montre de nouveau son si joli minois. Cette fois-ci, elle me regarde avec méfiance et me sonde, comme pour vérifier que mes attentions à son égard ne sont pas malveillantes. Un long moment passe, ses iris dévastés m'analysent encore, et encore, et encore. Je ne pipe mot, trop médusée par la couleur bleutée de ses pupilles. Ce bleu si profond, si vivant, si froid et pourtant si aimant. Cette petite a tout perdu. Tout. Absolument tout. Je le sens. Je le sais.
— J'ai personne. Mes parents sont morts là-dedans, me dit-elle dans un sanglot déchirant en montrant les ruines d'un léger mouvement de tête.
Je le savais.
Sa voix meurtrie par les événements terribles et cruels fend l'air glacial et invisible, le scinde en deux, atteint le ciel et brise mon cœur. J'étouffe, je vois flou et mon rythme cardiaque accélère, tambourine furieusement dans mes tempes. Face à tant de peine, je reste muette un instant. Puis, lentement, je porte mes doigts tremblants et froids à ma nuque et décroche le médaillon de ma mère. Sentant les larmes me piquer les yeux, l'émotion me submerger sans mon accord, je ferme les paupières et réprime un gémissement. Un gémissement qui secoue mes entrailles, mon corps tout entier. Un gémissement qui ferait tressaillir la planète Terre, détruite par tous les combats qu'elle endure. Rouvrant progressivement les yeux, mes iris se heurtent aux siens et, précautionneusement, j'approche le collier de son cou et viens le nouer. La petite regarde le médaillon, le tripote, le contemple sous tous les angles.
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Passion Ennemie
Historical FictionMars 1946, Hambourg, Nord de l'Allemagne. Alors que la Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et que la ville portuaire renaît progressivement de ses cendres, Gabriele, une jeune Britannique de 20 ans, rejoint son père qui est chargé de la restauration...