Chapitre 30

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 « La première fois qu'on m'a diagnostiqué ma maladie mentale, ça m'est apparu comme un choc. Les médecins m'ont dit que j'ai vécu au moins deux traumatismes dans mon enfance. Le premier est connu de tous. Mais ils ont dit deux. Pourquoi ce chiffre deux ? Je me suis toujours posée la question. Mais surtout, quel était mon deuxième traumatise alors ? Comme si je m'en souvenais, pour pouvoir l'affronter et en guérir...

Ils m'ont aussi dit que je serais borderline et bipolaire toute ma vie. Comment peuvent-ils en être si sûrs ? Pourquoi me le dire d'ailleurs ? Qui sont-ils pour se permettre de décider de mon destin ? Tout cela m'a mise très en colère, et a favorisé mes successions de dépression sévère, jusqu'au jour où je découvre... La musique, qui peut nourrir mon âme, me soigner profondément, me permettre d'exprimer toute la rage en moi, dans une douceur absolue. La chanteuse Tatiana était née. J'ignorais que je deviendrai aussi célèbre et riche que je le suis, aujourd'hui, en partie, grâce à mes démons sur le plan psychique. Ce qui est sûr, dans ma carrière, tout allait bien. J'étais passionnée et talentueuse, j'avais mon manager et son agence, qui m'entouraient bien et me coachaient comme il le fallait. Mais un problème, le même problème se répétait sans cesse dans ma vie, dans un seul domaine : mes relations interpersonnelles. Que ce soit familial, amical comme sentimental, je ne parvenais pas à avoir des relations saines, stables et durables. Etait-ce parce que je portais trop d'attentes irréalistes envers ceux dont je m'attachais, trop facilement d'ailleurs... Je multipliais les relations avec les hommes, à la recherche de quelque chose que je ne parvenais jamais à trouver. Et cette chose n'était rien d'autres que mon père, que j'ai perdu à l'âge de mes huit ans... Assassiné cruellement, une nuit que je n'oublierai jamais, même si on m'effaçait la mémoire.

Mon père était un magistrat passionné et engagé, principalement dans la lutte antimafia. Il était doté d'un fort sens de la justice. Les trois choses qu'il aimait le plus au monde étaient : ma mère, son métier et moi bien sûr. Surtout moi, j'en étais persuadée. Il me gâtait, me choyait, m'amenait où je voulais, m'offrait tout ce que je demandais, exauçait toujours mes vœux. Il était trop adorable et présent pour sa fille. Pourtant, il lui arrivait de me discipliner, de me punir et d'être sévère avec moi. Mais c'était toujours une sévérité baignée dans de l'affection.

Aujourd'hui, après plusieurs années, cette autorité paternelle, ce contrôle, ce fait d'être maîtrisée tout en étant aimée inconditionnellement, j'ai retrouvé tous ces sentiments auprès de quelqu'un : mon Fred. Avec cet homme, je me suis sentie « complète », comprise, acceptée, je pouvais être moi-même, sans masques, sans filtres, il supportait tout de moi, sans effort. En même temps, durant nos ébats, cet homme savait avoir une autorité naturelle sur moi, de manière subtile. Il maîtrisait toujours la situation, il savait me discipliner, me contrôler, me dominer, me faire vibrer. Il est la personne avec laquelle j'ai eu ma première relation stable, bien que mouvementée. Lui et moi étions partis pour durer, j'en suis convaincue.

Vous savez, quand on rencontre une personne comme ça, on n'a plus qu'une seule envie : que cette personne reste auprès de nous, jusqu'à la mort. Ou pire même : que l'on meurt avant cet individu, car on ne supporterait plus la vie sans lui à nos côtés...

Alors comment je peux accepter qu'il me quitte ? Juste, comment... »

Tatiana conduit sa voiture, en dépassant la vitesse limite, déterminée à aller stopper son « mur de Berlin » qui compte la quitter, en plus, sans l'avoir prévenue.

Au bureau de police, le trio (Nadège, Victor et Arthur) doit procéder à la recherche de Max, porté disparu depuis sa fugue de l'hôpital. Et s'il est mort, il leur faut retrouver le corps : voilà l'ordre de leur chef.

Peu de temps après, on leur informe qu'un conducteur a dépassé la vitesse limite sur la route et est en train de faire des dégâts. Nadège et Arthur montent dans leur voiture de service et partent pour attraper ce « faiseur de trouble ».

Fred, à l'aéroport, roulant sa valise, parle au téléphone avec Alex, à propos de tout ce que le nouveau garde du corps de Tatiana devra veiller à faire pour bien la maîtriser. Fred ne laisse aucun détail.

— Qu'il ne la juge jamais. Autant dans les mots que dans le regard. Elle lit facilement les émotions sur les visages des gens, et pense que tout tourne autour d'elle donc elle se vexe pour un rien après. Est-ce que tu es en train de tout noter pour transmettre au garde du corps ? Sinon, il aura du mal à cohabiter avec elle.

— Oui, oui, continue. A t'entendre parler, on dirait que tu as grandi avec elle. Je prends note sur tout, rassure-toi. J'attends juste que tu me dises la couleur de toutes ses culottes maintenant, et là j'en aurai fini je crois.

— Pourquoi tu peux pas être sérieux ?

— Ça m'étonnerait pas que tu connaisses ça également.

— Qu'il ne s'endorme jamais avant qu'elle ne s'endorme. Il ne doit même pas avoir de sommeil profond tout court, car elle se réveille à plusieurs reprises dans la nuit et il faut constamment la surveiller.

— Ça alors ! Il n'y a vraiment que toi pour vivre avec cette femme, elle est tout sauf normale.

— Qu'il ne la laisse jamais faire ses achats toute seule, elle se procure des objets blessants à chaque fois qu'elle va mal.

— Euh je peux savoir pourquoi ? Dans quel but ?

— Pour oublier la douleur émotionnelle et ressentir de la douleur physique à la place.

— Euh, okay.

— Si tu n'as pas compris, ça n'a pas d'importance, et arrête de poser des questions inutiles d'ailleurs.

— En quoi c'est inutile ? Je ne dois pas un peu la connaître pour assister le garde du corps à distance ?

— A chaque fois qu'elle dit « je veux être seule », elle veut dire « je suis en détresse, à l'aide », alors qu'il ne la laisse jamais seule, même si elle insiste.

Alex soupire.

— Mec, je te sens déjà nostalgique, dans tes propos... Quitte vite ce pays.

— Je te rappelle, après avoir enregistré mes bagages.

Il raccroche.

Tatiana vient d'arriver devant l'aéroport. Elle stationne rapidement et descend pour entrer. Elle part regarder le tableau des vols, elle voit que l'enregistrement pour le vol Paris – Détroit est déjà ouvert. Tatiana, inquiète, accoure chercher Fred.

Au même moment, Fred qui vient de finir d'enregistrer, se dirige pour faire les procédures de police. Dès qu'il les fait, il ne pourra plus ressortir et devra se diriger immédiatement en salle d'embarquement. Tatiana le voit, elle n'y croit pas ses yeux.

— Freeeeeeeeeeeeeeeeeddddddd !!!

Tous les individus dans les alentours se retournent et regardent Tatiana. La plupart des gens la reconnaissent et la pointent du doigt. Fred, surpris, s'arrête sans se retourner.

— Est-ce qu'à force d'avoir cohabité avec elle, j'hallucine maintenant ?

Il voit la localisation de Tatiana sur son smartphone, qui indique qu'elle est tout près. Fred n'en croit pas ses yeux. Il reste immobile, refusant de se retourner et de la voir. Tatiana se dirige vers lui. Fred se retourne, lentement, vers elle et la voit venir. Elle arrive devant lui et le regarde avec mépris.

— Espèce d'imbécile ! Tu mérites toutes les insultes du monde ! Comment tu peux...

Fred met sa main sur la bouche de Tatiana, pour la faire taire, car les gens autour les observent et commencent même à sortir leurs smartphones pour la filmer. Fred prend la main de Tatiana et s'en va à la hâte avec elle. 

Aime-moi, désire-moi, ne me quitte jamais : AdrénalineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant