Chapitre 10 : John

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On avait tous une raison d'avoir intégré l'armée. Certains faisaient ça pour protéger leur famille, d'autres parce qu'ils voulaient se sentir utiles. La raison la plus répandue restait cependant le fait de n'avoir plus rien à perdre, et je faisais partie de cette catégorie.

Avant que le mur Maria ne fût détruit, j'habitais à Shiganshina, dans une petite chambre, au premier étage d'une taverne. J'étais née au sein du mur, là où mes parents avaient leur petite ferme, leur champ de pommes de terre, leurs vaches, leurs poules et leurs moutons. Petite, j'adorais m'occuper des animaux et aider mes parents. En grandissant, j'ai pris conscience que ce n'était pas ce que je voulais faire de ma vie, j'avais envie de voir la ville, déménager ailleurs, peut-être même à la capitale.

À 17 ans, j'ai été embauchée dans une taverne en tant que serveuse. Le tenancier était un ami de la famille qui cherchait quelqu'un pour lui donner un coup de main. Au début, je ne venais là que quelques jours par semaine, mais au bout d'un moment, j'ai fini par m'y installer, même si mes parents désapprouvaient mon choix. Eux, ils avaient toujours compté sur moi pour reprendre la ferme familiale et y vivre avec mon mari et mes enfants. Cependant, ça n'a jamais été dans mes projets. J'utilisais l'argent gagné à la taverne pour préparer ma vie future, il fallait que j'économise assez pour pouvoir au moins espérer rejoindre le mur Rose.

Le travail de serveuse m'a permis de faire de nombreuses rencontres, plus ou moins heureuses. Toutes sortes de personnes rentraient dans cette gargote, des ivrognes notoires, des gens de passage, des mieux lotis, mais surtout des soldats. Les membres de la garnison étaient responsables d'une grande partie de notre chiffre d'affaire, si la maison tenait encore debout, c'était grâce à eux. À chaque fois que j'en voyais un franchir le seuil de l'établissement, je maudissais sa famille entière, descendance comprise. Je ne comprenais pas comment ils pouvaient assurer la sécurité de la ville en étant ronds du matin au soir. Cela me révulsait. Mais il fallait bien faire bouillir la marmite, alors je les servais.

Parmi les soldats, il n'y avait pas que les membres de la garnison qui visitaient la taverne, il y avait aussi les soldats du bataillon d'exploration. Toutefois, on en voyait beaucoup moins souvent. Ils venaient surtout avant ou après une expédition extra-muros. C'est à cette occasion que j'avais rencontré John, par une douce nuit de printemps.

La première fois que je l'ai vu, il entrait dans la taverne, vêtu de son uniforme emblématique. Il était seul et semblait déprimé, ce qui était une expression commune chez les soldats qui venaient là. Il s'était assis au bar et je lui avais servi sa commande sans qu'il ne lève les yeux vers moi. Pendant que je m'occupais d'autres clients, je l'observais du coin de l'œil. Il était grand, les cheveux courts, bruns et bien peignés. Son nez était retroussé d'une manière tout à fait adorable et ses lèvres dessinaient une moue particulièrement rigolote. Il devait certainement penser à quelque chose qui le contrariait parce que son expression faciale était renfrognée, ce qui le rendait, bizarrement, plutôt amusant.

— Une expédition est prévue demain ? lançai-je à tout hasard, alors que je frottais un verre dans le même temps.

Il releva la tête vers moi et je pus enfin voir ses deux magnifiques yeux marrons.

— Ouais, se contenta-t-il de répondre en posant sa tête dans la paume de sa main.

— Vous êtes inquiet ?

— Pas tellement, fit-il en buvant une gorgée de son alcool.

Je rangeai la vaisselle que je venais de terminer, avant de reporter mon attention sur lui. Il avait remis sa tête sur sa main et me regardait faire. Je me retournai légèrement pour essayer de comprendre ce qu'il y avait de si intéressant pour me regarder de manière aussi insistante.

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant