Chapitre 13 : T

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Un autre mois s'était écoulé. On avait voulu me forcer à retourner dans la chambre de l'infirmerie mais j'avais réussi à obtenir la permission de rester dans ma vraie chambre. De toute manière, j'allais tellement mal qu'on évitait de me contrarier, par peur qu'il m'arrive quelque chose sans doute. Alors, j'en profitais. J'en avais un peu honte mais je le faisais quand même. Je restais dans mon lit toute la journée, la tête dans les oreillers, et je chouinais quand on venait me parler.

Trois fois par jour, on m'apportait mes repas sur un plateau, et trois fois par jour, je daignais à peine tourner la tête vers ceux-ci. Les seules choses que j'acceptais d'avaler c'étaient du thé et des fruits. Au début, Levi avait cru bon d'employer la manière forte avec moi, mais il comprit vite que ça ne fonctionnerait pas, alors il abandonna. Ensuite, il essaya de me prendre par les sentiments « que diraient tes subordonnés s'ils te voyaient ainsi ? », mais ça terminait toujours en crise de larmes. J'étais alors secouée par des sanglots irrépressibles qui me donnèrent des hauts le cœur.

J'étais dégoutée, je me répugnais. Je ne comprenais pas qu'on puisse encore vouloir être en ma compagnie.

Malgré tout ça, l'infection dans ma jambe avait fini par disparaitre. « On me donne un sursit », pensai-je en moi-même.

Un jour, le médecin était passé pour m'enlever mes fils. Il m'ausculta complètement et me fit comprendre qu'il y avait une chance pour que je puisse remarcher sans béquilles. Cette nouvelle aurait dû m'emplir de joie mais je ne ressentis qu'un minuscule soulagement.

Alors, quand personne ne me voyait, j'essayai de poser le pied par terre et de faire quelques pas. Je ne voulais donner de faux espoirs à personne, tout le monde avait à peu près compris que j'étais condamnée, depuis le temps. Petit à petit, j'arrivai à me déplacer de mon lit aux toilettes toute seule. Parfois, j'allais même jusqu'à mon bureau pour regarder fixement la porte en chêne que je n'avais plus franchie depuis des semaines, ou pour dessiner.

Dessiner tout ce qui me passait par la tête, le paysage que je pouvais voir par ma fenêtre, les objets qui jonchais mon bureau, des animaux aussi. Quand j'étais en crise, je dessinais mes camarades disparus en proie aux titans en déversant toute ma rage sur le papier. Je traçais des traits grossiers et raides et puis je jetai la feuille au loin quand j'en avais assez. Parfois, je pleurais, mais la plupart du temps, une fois la crise passée, je me remettais simplement à fixer ma porte.

Parfois, la colère me quittait quelques instants et je pensais à Levi et Hanji. Ces derniers venaient bien moins souvent depuis que je leur avais crié à plusieurs reprises de me laisser tranquille. J'avais fini par les lasser, j'imagine. C'est égoïste, je sais, mais dans ces moments j'aurais voulu qu'ils soient là et qu'ils me pardonnent ce que j'ai pu leur dire.

Dans ces moments-là, je prenais mon carnet à dessins, celui que je tiens depuis que je suis à l'armée, il n'y pas grand-chose dedans mais il représente une bonne partie des souvenirs que j'ai. Je le regardais, page par page, avec toute la douceur que je peux avoir. Il y avait des dessins de soldats qui s'entrainaient, du petit lac qui se trouve derrière la forêt où les recrues ont l'habitude d'aller passer leur temps libre, du QG vu du terrain d'entrainement, de l'arbre sous lequel j'avais l'habitude de faire la sieste les après-midis d'été. Il y avait aussi quelques portraits, plus ou moins flatteurs, quand j'étais d'humeur chafouine, j'aimais bien dessiner les sourcils d'Erwin encore plus gros et lui coller une expression ridicule sur le visage. Bien évidemment, vu tout le temps que j'ai passé avec Levi depuis toutes ces années, j'avais accumulé une collection assez conséquente de portraits de lui dont je n'étais pas peu fière. Je m'arrangeais toujours pour le dessiner quand il ne me voyait pas et je riais toujours quand il finissait par me prendre la main dans le sac.

Cette pensée me fit sourire pour la première fois depuis longtemps. Je pris une nouvelle page de mon carnet, taillai la mine tout usée d'un vieux crayon et esquissai les contours du visage de Levi. Très vite, je me rendis compte qu'il était très difficile de dessiner le visage de quelqu'un de mémoire. Alors je m'efforçai de me souvenir le plus distinctement possible de ses traits. Des yeux qui vous transpercent, des sourcils fins et froncés, un nez droit et tout à fait mignon, et une petite bouche agacée. Plus facile à dire qu'à faire.

Après plusieurs essais infructueux, je finis par lancer mon crayon en travers de la pièce et rangeai rageusement mon carnet dans son tiroir. Je tournai ensuite ma chaise vers la fenêtre derrière moi et observai les soldats sur le terrain d'entrainement. Levi était là, il supervisait ses soldats et moi j'étais coincée dans ma chambre.

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant