Chapitre 15 : T

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Je me réveillai en sursaut. Ce n'était pas la première fois, il était rare que je dorme la nuit sans faire de cauchemars. Alors, je me levais, parfois je m'asseyais à mon bureau et je dessinais, parfois je prenais un livre au hasard et je lisais les premières pages avant de déposer l'ouvrage quelque part sur un meuble, et d'autres fois je faisais des exercices de rééducation. Je refaisais mon bandage tous les jours mais ma blessure était maintenant complètement guérie alors je m'aventurais de plus en plus loin dans ma chambre sans utiliser mes béquilles. Je boitais beaucoup, en fait, j'utilisais ma jambe droite plus comme une canne que comme une vraie jambe mais au moins je pouvais m'appuyer dessus.

Cela faisait une semaine que je n'avais plus adressé la parole à Levi. Il ne venait plus prendre de mes nouvelles dans ma chambre et moi je ne venais plus au réfectoire, de toute manière, je ne mangeais pas plus qu'avant. Enfin, peut-être que je mangeais un peu plus que je ne le croyais. J'avalais une pomme et une miche de pain tous les jours, accompagnées de litres et de litres de thé.

Après quelques minutes d'effort physique, je regardai la pendule au-dessus de la porte, elle indiquait deux heures trente. « Levi doit toujours être debout à cette heure-ci », pensai-je. Quand notre relation était encore cordiale, j'avais l'habitude de venir le déranger quand je n'arrivais pas à dormir.

Alors, sans y réfléchir davantage, j'enfilai le pull qu'il m'avait lancé à la figure une semaine plus tôt, et que j'avais laissé trainer sur une chaise, et je sortis de ma chambre. Il faisait froid et sombre, j'avais oublié de prendre une bougie avec moi. Je ne voyais presque rien et longeai le mur pour ne pas tomber (j'avais aussi décidé de ne pas prendre mes béquilles). Heureusement que la chambre de Levi se trouvait deux portes à côté de la mienne.

Arrivée devant la porte, je me figeai pour essayer d'entendre ce qu'il se passait à l'intérieur mais n'entendis aucun bruit. Je pensai alors à rebrousser chemin et à me recoucher mais ma main se leva d'elle-même et sans m'en rendre compte je frappai trois fois contre le chêne brut. Des pas se firent entendre et Levi apparut dans l'encadrement vêtu d'un pull noir ample et d'un pantalon de la même couleur.

— Qu'est-ce que tu veux ? me fit-il d'un ton plus calme que je ne l'aurais imaginé.

Ses yeux, dans lesquels se reflétait la lumière de sa bougie, m'observèrent de haut en bas pour ensuite se plonger dans les miens. Un courant d'air me fit frissonner et je resserrai mon pull plus près de moi.

— Je peux entrer deux minutes ? soufflai-je.

Il ouvrit complètement la porte et se retourna pour déposer la bougie sur son bureau. J'entrai dans cette pièce que je n'avais plus vue depuis une éternité et humai l'odeur de thé qui y régnait. Il venait visiblement de faire bouillir de l'eau pour se préparer une infusion, je pouvais apercevoir la fumée monter au-dessus de sa tasse à peine entamée.

— Tu veux une tasse ? me proposa-t-il quand il remarqua ce que j'étais en train de regarder.

Son ton était froid, je pouvais sentir qu'il était encore énervé. La pilule avait du mal à passer et il était sans doute temps pour moi de m'excuser, mais je n'étais pas encore prête. Je sentais que je n'étais pas encore capable d'exprimer quoi que ce soit, mes émotions étaient encore trop incontrôlables et imprévisibles.

Je refusai sa proposition d'un signe de tête et fis un pas vers lui.

— Ça te dit qu'on fasse une trêve ? On reprendra notre dispute demain, lançai-je à tout hasard en avançant ma main vers lui pour serrer la sienne.

Il sembla réfléchir mais finit par sceller notre accord en m'attrapant la main et en y appliquant une légère pression. Un minuscule sourire étira mes lèvres et une lueur de malice prit place dans mon regard. La seconde d'après, je me glissai dans son lit, le cœur un peu plus léger et soudain fatiguée.

— Sérieusement... soupira Levi.

Je l'entendis marmonner quelque chose d'incompréhensible et boire sa tasse de thé d'une traite avant de souffler les bougies et de venir se coucher à mes côtés. Il prit quelques secondes pour trouver une position confortable alors que je le regardais faire.

— T'as encore fait un cauchemar ? tenta-t-il.

J'avais du mal à croire qu'il puisse penser que c'était le moment pour discuter.

— Ouais, dis-je simplement.

— Tu veux en parler ?

J'étais abasourdie, qu'est-ce qu'il me voulait à la fin ? Non, je n'avais pas envie d'en parler, il n'y avait qu'à voir mon visage et faire attention au ton de ma voix pour comprendre que tout ce dont j'avais besoin c'était de quelqu'un. Juste quelqu'un qui soit là, qui puisse me tenir compagnie sans me poser trois cents questions par seconde.

— Aucunement, soupirai-je.

Il finit par se taire, semblant avoir enfin compris que je n'avais aucune intention de discuter ce soir. Je fermai alors les yeux et détendis mes muscles encore endoloris.

— T'es venue jusqu'ici sans tes béquilles ?

Il avait demandé cela comme s'il s'agissait d'une chose incroyable.

— Toi, tu sais pas quand il faut t'arrêter de parler.

— C'est toi qui me reproches tout le temps de pas assez communiquer ! renchérit-il.

Je souris, il avait raison au fond. Je savais qu'il s'inquiétait et qu'il faisait des efforts pour que j'aille mieux. Mais il ne pouvait pas faire grand-chose à mon mal-être. J'étais en colère, mais pas contre lui. Au début je croyais que c'était ça, mais j'ai vite compris que c'était à moi que j'en voulais et que j'essayais de trouver un responsable à mon malheur. Il fallait que je me pardonne, il fallait que je laisse mes anciens camarades partir. Il fallait que j'arrête d'en vouloir au monde pour ma jambe.

— Je sais, murmurai-je en venant me blottir contre lui, passant mon bras autour de lui. J'apprécie tes efforts, Levi, conclus-je la voix mourant tout contre sa poitrine.

Le lendemain matin, je fus réveillée par la lumière du soleil qui tapait à travers la grande fenêtre. Je pris quelques secondes pour revenir à moi, quelle mouche m'avait piquée pour que je me glisse dans le lit de Levi en pleine nuit, après tout ce que je lui avais balancé à la gueule ? Décidemment, je ne reculais vraiment devant rien et lui était doté d'une patience bien plus grande que je ne pensais.

Je me frottai rapidement les yeux et entrepris de me lever, non sans mal. Je m'étirai et clignai plusieurs fois les yeux pour m'habituer à la lumière aveuglante du soleil. Levi, déjà vêtu de son uniforme, était en train de verser l'eau de la bouilloire dans la théière. Il avait disposé deux tasses sur son bureau, l'une à sa place habituelle et l'autre en face de lui, là où j'avais l'habitude de m'asseoir quand je venais le voir. À côté de la tasse que j'avais deviné être la mienne se trouvait une pomme posée sur une petite assiette.

— Assieds-toi, je prépare le thé, me dit-il simplement, sans même lever les yeux vers moi.

Prise de panique, j'attrapai la pomme et sortis de la pièce sans piper mot. Il ne le savait pas, et moi-même je ne me comprenais pas encore totalement, mais si je m'asseyais sur cette chaise, je risquais de dire des choses que je n'étais pas prête à dire. Alors, une fois de plus, j'avais choisi la fuite. 

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant