Chapitre 14 : S

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Sous la pression de Hanji, et avec un peu de chantage (il fallait bien l'avouer), j'avais fini par descendre au réfectoire au moment des repas. Je mangeais toujours très peu mais, pour mes amis, j'essayais de faire bonne figure. C'était un bien grand mot vu que je devais bien avoir perdu dix kilos, que je me baladais dans des robes de nuits dignes de la garde-robe d'une grand-mère, que mes yeux semblaient se trouver au milieu de ma figure et que je me traînais toujours sur deux béquilles.

Alors je me retrouvais là, mal à l'aise au milieu de tous ces soldats qui me regardaient par-dessus leur épaule et qui détournaient la tête quand je croisais leur regard. J'étais assise là, à la table des chefs d'escouade, à ma place, à droite de Levi et je regardais fixement mon assiette. Comme d'habitude, on nous avait servi une immonde bouillie de légumes dans de l'eau chaude, une soupe qu'ils appelaient ça. Sous le regard insistant de Hanji, j'avais avalé une cuillerée avant de sentir mon estomac se retourner. Alors je repoussai mon plat et déposai mon front contre le bois de la table, complètement épuisée.

— T'as à peine touché ton assiette, me dit Hanji, visiblement inquiète.

— J'ai pas faim, répondis-je simplement.

— Mange au moins ton petit pain, essaya de me convaincre Levi.

Pour toute réponse, je poussai un gémissement d'agacement, comme une enfant qui faisait un caprice et plongeai ma tête dans mes bras. Je n'avais aucune envie de manger cette miche de pain dure comme du caillou.

— J'arriverais peut-être à avaler quelque chose quand ils arrêteront de nous servir de la merde.

— En même temps, on est pas dans un restaurant, rétorqua Levi d'un ton piquant.

Je relevai la tête et la posai dans le creux de ma main. Je profitai de ce moment de fin de repas pour observer les soldats à ma table manger leur plat comme si c'était la meilleure chose qu'ils avaient pu goûter dans leur vie. Mon estomac se retourna une fois de plus.

— J'ai envie d'un gâteau aux fraises, fis-je, songeuse.

— Et où tu veux que je trouve à gâteau aux fraises en cette saison ? m'asséna Levi qui mâchait difficilement son bout de pain.

— Mais ! Je ne t'ai absolument rien demandé, je ne faisais que réfléchir à voix haute !

Qu'est-ce qu'il pouvait être sur les nerfs ces temps-ci, ça me rendait complètement dingue ! Je soufflai pour marquer mon mécontentement et sortis de table. Je pris une pomme sur un comptoir avant de quitter la pièce et me dirigeai vers l'extérieur. Je passai la grande porte et une bourrasque projeta mes longs cheveux en l'air. L'automne venait d'arriver, la nuit était à peine tombée et le fond de l'air était encore doux. C'était la première fois depuis mon accident que je mettais le pied dehors, je profitai alors de la sensation du vent qui fouettait ma peau et de l'odeur boisée de l'extérieur.

Je me postai sur le petit muret derrière le QG, celui que j'avais l'habitude de squatter pour regarder le ciel. Non sans mal, je m'étais couchée sur la pierre froide, la jambe gauche qui se balançait dans le vide, un bras derrière la tête pour déguster ma pomme plus confortablement et voir les étoiles apparaître dans le ciel qui s'assombrissait de minute en minute.

C'était si agréable, après le repas, le brouhaha qui s'élevait du réfectoire avait disparu et la nuit était devenue complètement calme. Seul le bruit du vent, qui allait et venait, pouvait se faire entendre. Moi, je laissais mes pensées dériver vers des temps plus joyeux, des temps aujourd'hui révolus.

De longues minutes passèrent et je sentis que ce moment privilégié était terminé quand j'entendis des bruits de pas, qui provenaient du grand bâtiment, s'arrêter près de là où je me trouvais.

— Il est temps de rentrer, soupira-t-il.

— J'ai pas sommeil, répondis-je en tournant la tête vers lui.

— C'est pas la question, se contenta-t-il de dire avec son air de petit chef.

Lasse de cette tension permanente, je ne répondis pas, je détournai le regard vers les étoiles et remis mes bras derrière ma tête.

— C'est quoi cette nouvelle manie de jamais répondre et de faire semblant de pas entendre ?! Ça commence vraiment à me saouler ! lança-t-il.

Je levai les épaules pour toute réponse. J'espérais vainement qu'il se contente de cela et retourne d'où il venait. Je n'avais aucune envie d'avoir cette conversation avec lui.

Il soupira bruyamment :

— C'est quoi ton problème sérieusement ?

— Mon problème c'est que tu me fais chier, Levi.

— Moi, je te fais chier, il ricana, moi, je te fais chier ?

— Oui putain, j'étais tranquille pour une fois, personne ne venait me casser les couilles et là tu débarques avec tes ordres à la con ! Alors tu peux retourner dans ton petit bureau à me surveiller par la fenêtre ! prononçai-je un peu plus fort que je ne l'aurais voulu.

— T'as vraiment aucune reconnaissance, merde !

Soudainement hors de moi, je me redressai en position assise sur le muret :

— Mais j'ai rien demandé, putain ! Je t'ai jamais demandé de venir m'apporter mes repas, je t'ai jamais demandé de surveiller les moindres de mes faits et gestes et puis, j'inspirai un grand coup, je t'ai jamais demandé de venir me sauver !

Sonné, il ne répondit rien. Moi, déjà au-delà des limites de l'acceptable, je décidai de vider complètement mon sac :

— Je t'ai dit de me laisser là. J'avais déjà pris ma décision mais c'est toi qui as fait le choix final à ma place !

J'avais hurlé ces derniers mots à pleins poumons et je les entendais encore résonner dans mes oreilles. Je soutins indéfectiblement le regard de Levi qui s'était assombri à un point que je n'aurais pu imaginer. Il enleva, avec rage, le pull qu'il avait dû enfiler avant de venir me chercher et me le balança au visage. Je le dégageai de devant mes yeux en humant malgré moi l'odeur que mon camarade avait laissé sur son vêtement.

— T'es une putain d'emmerdeuse et t'es con comme une branche, mais je préfère te savoir vivante que morte.

Sur ces mots qu'il avait prononcé de sa voix la plus neutre et sans émotion, ce qui m'arracha un frisson, il tourna les talons et disparut derrière la porte du QG.

C'était une dispute violente, mais c'était la première fois qu'on avait une réelle conversation depuis des lustres.

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant