Chapitre 2 | L'été est une malédiction

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— Cinq, six, sept et huit, compté-je dans ma tête, avant de finir sur un développé

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— Cinq, six, sept et huit, compté-je dans ma tête, avant de finir sur un développé.

Jambes et pointes parfaitement tendues, je garde au mieux mon équilibre jusqu'à l'arrêt de la musique. Revenant sur terre à proprement parlé, je souffle une minute, avant de me débarrasser de mes pointes. Bon sang, qu'est-ce qu'elles me font mal ! C'est bien gentil d'avoir du matériel neuf, mais pour le confort, on repassera. Néanmoins, je réalise à présent mes tours avec plus d'aisance, j'espère ne pas être la seule à remarquer ce détail.

Il va te falloir bien plus qu'une simple paire de pointes neuves pour te racheter Madeleine...

Vrai. Mais tout n'est pas encore perdu.

Mes pieds recouverts d'un fin collant glissent aisément sur le parquet, traçant lignes et cercles pour rejoindre le banc à côté de l'entrée. Cet horaire est merveilleux, mon rituel, mon petit moment de bonheur. Le soleil commence à peine à dessiner de grandes formes colorées sous mes pas, annonçant le commencement de la traditionnelle golden hour prête à adopter et projeter l'ombre de mes mouvements jusqu'à les peindre temporairement sur les lattes géométriques.

Avec de simples chaussons et un fond musical, je réalise délicatement quelques exercices pour reprendre mes ateliers préférés, ceux pour lesquels je suis douée depuis toujours. Les notes se mélangent dans ma tête, se perdent dans mes pensées et dérivent jusqu'à mon cœur. Mes membres s'orchestrent selon le rythme, offrant un ballet de mouvements organisés et parfaitement maîtrisés contre la mélodie. Un monde où seule la musique domine, manipulant ses danseuses comme de simples marionnettes. Des pas par-ci par-là, terminés à la perfection, les regards sont braqués sur moi.

L'épaisse vitre me séparant du reste du monde, se noircit rapidement de petites mains curieuses et de jolies frimousses intéressées. Les prochaines étoiles agglutinées les unes contre les autres pour apercevoir une partie, même infime du studio où je me trouve, captant au possible un mouvement, un bout de chorégraphie, ou rien qu'un regard. Les petits rats vêtus de leurs tutus roses et chignons droits, propres, parfaits comme appris dans les plus beaux contes pour enfants, une pâle représentation de notre réalité, qui a tout de même l'avantage de les faire rêver de grâce et de perfection.

C'était un rite de passage, une habitude que tout élève de l'académie prenait et connaissait : la confiance et l'admiration de ses aînés. Ne perdant jamais une minute, les plus jeunes rejoignaient le bord de cette salle, que l'on surnommait depuis toujours "le bocal" en référence à ses nombreux murs vitrés, afin d'observer les cours supérieurs, admirant tout ce qui bouge et la maîtrise que leur manque d'expérience empêchait encore.

À mon tour, j'observais étant plus jeune les plus grands façonner chorégraphies et élégance, les mains plaquées contre la vitre et des étoiles pleins les yeux. À mon époque, la majeure partie du temps, les enfants ne poursuivaient pas les cours jusqu'à ce niveau, intransigeance et pression devenant un cocktail trop lourd pour d'autres que des passionnés. Chuchotant à tout-va ce que je voyais, j'en partageais chaque avis avec ma sœur qui hochait la tête sans grand intérêt.

Les reflets du miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant