Wektu vit le ciel s'éclairer quelques instants avant que le grondement sourd du tonnerre ne résonne tout autour de lui. Des trombes d'eau s'abattaient sur ses épaules, et le sol sous ses pas, rendu boueux par les pluies incessantes des dernières heures, ralentissait franchement son avancée. Dans l'obscurité environnante, il devenait de plus en plus difficile de distinguer où il mettait les pieds. Il trébucha pour la dixième fois, et s'arrêta finalement. Continuer plus longuement ne serait pas raisonnable. Il s'était déjà éloigné plus loin qu'il n'avait jamais osé, et le paysage autour de lui était devenu étranger. La végétation était plus dense qu'autour du ruisseau de leur petit village, et les rares rayons de soleil qui peinaient à traverser les lourds nuages d'orage étaient éparpillés dans les ramures des arbres. Ignorant l'eau qui ruisselait sur son visage, il se pencha, observant les empreintes bien définies dans la terre meuble.
Le jeune homme était parti chasser à l'aube, mais l'après-midi était déjà bien avancée. Il avait traqué l'animal sur des kilomètres, refusant d'abandonner la poursuite avant d'avoir trouvé sa proie. Ses compagnons n'avaient pas mangé de bonne viande depuis des semaines, se contentant de petits rongeurs et autres écureuils. Wektu avait donc décidé d'y remédier, et, suivant les conseils d'Ardam, avait suivi le cours d'eau jusqu'à un petit lac en aval. Là, les empreintes avaient été nombreuses, sillonnant la rive dans tous les sens. La plupart étaient recouvertes d'une fine poussière, ou étaient déjà sèches et craquelées. Une, cependant, était fraîche. De la taille de sa paume, des sabots avaient laissé une marque très visible sur la berge, là où l'animal s'était arrêté pour boire. De là, Wektu avait commencé à remonter la piste, faisant attention à ne pas faire trop de bruit. Depuis qu'il s'était installé avec Saven et Ardam, le Porte-Rêves avait changé, physiquement surtout, mais aussi mentalement.
Il se dévisagea dans une flaque troublée par les gouttes d'eau et passa une main distraite dans sa barbe fournie. Grâce à Ardam, il avait appris comment penser comme les bêtes sauvages, à comprendre leurs instincts, et à maîtriser les siens. Son corps, quant à lui, s'était affiné avec les entraînements fournis par Saven, qui s'avérait être une guerrière hors-pair. Quand il lui avait demandé d'où lui venait son talent, elle lui avait simplement répondu qu'elle ne s'en souvenait plus, ce qui avait inquiété Wektu, mais il n'avait pas voulu pousser plus loin.
Il se reconcentra sur le présent. Il avait un choix à faire. Tenter d'aller plus loin, et trouver sa proie, qui était sûrement très proche, ou faire demi-tour et ne pas risquer de se perdre dans la pénombre qui allait rapidement empirer. Le Porte-Rêves soupira. L'ancien lui aurait certainement continué, insouciant du danger, mais Wektu n'était plus cet homme là. A regret, il se releva, tentant de percer l'obscurité en quête d'une preuve concrète de la présence de l'animal, en vain. Il soupira de nouveau, et se détourna, revenant sur ses pas. Ses compagnons seraient certainement déçus, mais mieux valait revenir bredouille et en vie, que ne pas revenir du tout.
Soudain, par-dessus le bruissement incessant de la pluie, il entendit distinctement un bruit résonner sur sa droite.
Une branche qui se brise.
Il se figea, tous les sens aux aguets, et porta la main à son arc qu'il dégagea délicatement de son dos. Il encocha une flèche, et s'avança à pas de loup vers la source du craquement. Il n'y avait rien. Rien qu'un buisson parmi tant d'autres et ...
Il s'arrêta de nouveau. Une forme sombre, plus sombre encore que l'obscurité environnante était recroquevillée dans les fourrées. Wektu hésita un instant, et le craquement retentit de nouveau, étrangement fort.
Dans un fracas monumental, le ciel s'illumina de nouveau, révélant la scène. Des plumes d'un noir de jais parcouraient le dos de la créature, qui déployait de larges ailes de chaque côté de son corps massif. La bête devait faire la taille d'un homme, si ce n'était plus, et Wektu retint son souffle. Le temps qu'il essaye de comprendre ce qu'il venait de voir, l'obscurité était de nouveau retombée sur les bois. En silence, le Porte-Rêves banda son arc, visant la créature, mais retint son geste quand une pensée inquiétante traversa son esprit.
VOUS LISEZ
Porte-Rêves
Fantasy« Les souvenirs sont comme le sang, perds-en trop et l'obscurité t'ouvrira les bras. » - Proverbe Lakros - Wektu n'était pas prêt à oublier. Dans un monde où les souvenirs peuvent prendre vie et où la mémoire est une réserve de magie, l'oubli est la...