Chapitre 6

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Wektu entra dans le village d'un pas léger. Leur rencontre fortuite avec ces bandits lui avait fait le plus grand bien, et il avait pu faire prendre un peu l'air à son épée, chose qui ne s'était pas produite depuis plusieurs semaines. Rien de tel qu'un peu d'action pour égayer sa journée. Aldrianne à ses côtés, ils arrivèrent donc en fin de soirée à Neros. Beaucoup d'habitants se regroupaient vers le centre du bourg, et le Porte-Rêve comprit rapidement pourquoi en suivant le flot de passants.

Au milieu de la place, entouré d'une masse compacte de villageois qui discutaient et riaient joyeusement, se tenait une cage dans laquelle on avait enfermé un petit animal, accompagné d'une coupe dorée placée en dessous. 

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda la Cristaliseuse, visiblement intriguée.

— Ça, très chère, c'est la tradition du gribouille, répondit Wektu qui afficha un large sourire, et pointa du doigt l'origine de toute l'agitation environnante.

Aldrianne ne répondit pas à sa provocation, sachant pertinemment qu'il n'attendait que cela. A la place, elle s'avança rapidement vers la créature, qui ressemblait vaguement à un gros crapaud auquel on aurait attaché une paire de pattes supplémentaires.

— Et qu'est-ce donc exactement que ce ... gribouille ? Je n'en ai jamais entendu parler.

La jeune femme se frayait désormais un chemin à travers la foule, jouant de ses coudes pour s'approcher encore plus près. Un homme solidement bâti tenta bien de la retenir par le bras mais Aldrianne se retourna vivement, le transperçant d'un regard de glace jusqu'à ce qu'il la lâche. Wektu connaissait bien ce regard et il plaignit intérieurement le pauvre qui n'allait certainement pas pouvoir fermer l'œil de la nuit. Il rejoignit sa compagne qui s'était arrêtée au pied de la cage et expliqua :

— La tradition du gribouille, que beaucoup trouvent quelque peu ... dérangeante, est fortement ancrée dans ces régions de l'Empire. Comme tu peux le voir, cet animal est très particulier.

Voyant qu'Aldrianne semblait attendre plus d'explications, le Porte-Rêves continua :

— En effet, chaque individu de cette espèce fait exactement la même taille, quel que soit son âge.

La jeune femme lui jeta un regard intrigué.

— La même taille ? Tu veux dire qu'ils naissent comme ça et qu'ils ne grandissent plus ensuite ?

— Presque. Les jeunes gribouilles se développent dans un œuf très élastique puis éclosent une fois l'âge adulte atteint.

— Étrange, mais cela ne m'explique pas pourquoi on a enfermé cette créature dans une cage ! Et qu'est ce que c'est que ce liquide qui ...

— J'y viens, coupa Wektu. Vois-tu, ces animaux possèdent une autre caractéristique intéressante : ils sont incapables de coaguler, la moindre entaille sur leur corps huileux est mortelle.

— Donc ce que je vois couler, là, c'est ...

— Du sang. Exactement. Tu as devant toi le cœur de la tradition du gribouille : à l'aide d'un couteau affûté, on peut faire une petite encoche sur le ventre de la créature, qui perd alors son sang à un rythme constant. Tous les gribouilles faisant la même taille, des paysans un peu dérangés ont donc eu l'ingéniosité de créer un tableau récapitulant le temps que le gribouille mettrait à perdre tout son sang en fonction de la taille de l'entaille, ce qui permet alors de créer un véritable compte à rebours vivant, la mort de l'animal signant le début des festivités.

Aldrianne se détourna vivement du pauvre crapaud et jeta un regard horrifié à Wektu.

— Mais c'est absolument barbare !

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