Chapitre 2

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Trois teintes de lumière se partageaient la clairière. La première était omniprésente et tapissait chaque recoin d'un voile doré. La seconde se trouvait dans le battement d'ailes des oiseaux, dans le bruissement des feuilles, dans tout ce qui bougeait au gré du vent. Enfin, la troisième et plus importante était unique.

Elle se tenait simplement là, courant le long de la lame d'acier plantée dans le sol humide, comme un fleuve au milieu d'une vallée. La rouille qu'elle rencontrait sur son passage la renforçait, la teintant d'un éclat rougeâtre, qui n'aurait été visible que dans le noir le plus complet. C'était la lumière mortelle qui résonne sur une épée, le dernier éclat avant l'obscurité totale.

L'homme qui se tenait à côté ignorait tout de cela, concentré à se gratter le crâne en reniflant bruyamment. En eut-il été conscient qu'il aurait haussé les épaules en laissant échapper un grognement, comme à chaque fois qu'on lui parlait de sujets trop complexes.

Gleork n'était pas un penseur, loin s'en fallait. En réalité il menait une vie simple. Etant donné qu'il était pauvre, il volait les gens pour rétablir l'équilibre. Une logique efficace et tranchante comme sa lame. Une bonne lame d'ailleurs. Il l'avait trouvée dans le chariot d'un de ces idiots qui n'avaient toujours pas compris que les routes n'étaient pas sûres à cette époque. Bien sûr il y avait bien des marchands qui passaient avec une escorte d'une dizaine de mercenaires mais Gleork restait loin de ces gens-là. Lui et ses trois compères s'occupaient plutôt des voyageurs isolés, ou des pèlerins crédules qui traversaient la région, ce genre de butin facile et pas trop dangereux.

Un sifflement léger retentit et le bandit cracha bruyamment dans l'herbe en se levant, ramassant au passage son arme qui quitta la terre avec un bruit de succion.

Oh, il y avait toujours un petit malin pour se croire supérieur aux autres et tenter de se battre. Souvent un jeune noble qui se prenait pour un héros sur sa route pour aider une demoiselle en détresse. Il débitait alors de grands discours pompeux dont personne ne comprenait la moitié et descendait de son beau cheval blanc pour dégainer une belle rapière dorée. Il s'avançait alors, s'échauffait un peu en faisant de grands mouvements avec sa lame et menaçait les bandits.

Gleork le laissait faire « parce que vous comprenez, les parents de ces pov' gamins, ben y ont dû payer un sacré paquet pour les cours, alors ça serait pas très sympathique de ma part de pas les laisser essayer ». Puis, quand il se lassait, le bandit faisait trois pas, traversait une défense inexistante et plongeait son épée au travers la gorge du malheureux, transformant le flot de parole de son adversaire en un flot de sang.

Parfois, encore plus rarement, ils tombaient sur quelqu'un qui magnait l'épée décemment. Les bandits savaient les reconnaître ces gars-là : ils ne parlaient pas beaucoup, ils ne s'échauffaient pas le poignet, mais surtout, et c'était le signe le plus important, ils n'avaient jamais de cheval blanc. Dans ces cas-là une flèche dans le dos résolvait rapidement l'affaire.

Leur petite entreprise fonctionnait plutôt bien, mais comme de nombreuses autres choses, Gleork ignorait qu'elle allait bientôt prendre fin.

Il s'approcha d'une démarche pesante d'un buisson d'éléganes au bord du sentier et s'accroupit, pestant intérieurement contre l'humidité qui s'employait impitoyablement à faire souffrir ses articulations. Gleork n'était pas très vieux pourtant, même s'il avait arrêté de compter après ses vingt ans, mais une vie passée dans la forêt avait tendance à éprouver le corps. Il attendit dans cette position inconfortable jusqu'à ce que deux silhouettes approchent au loin, l'écho encore incertain de leur conversation porté par le vent. L'homme sentit un frisson remonter le long de son bras lorsqu'ils parvinrent à une dizaine de pas de sa cachette. En se plaçant derrière un buisson d'éléganes, aussi surnommé "masque de l'assassin" on pouvait en effet voir sans être vu, les larges feuilles dorées ne laissant passer la lumière que dans un sens. Malheureusement, Gleork n'aimait pas trop ce qu'il voyait.

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