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Aujourd'hui, j'ai pris plaisir à aider Sonia pour préparer le repas de ce midi. Je coupais les tomates fraîchement ramenées du marché pendant qu'elle faisait dorer quelques légumes sur la poêle. Rosa s'est même portée volontaire pour mettre la table et elle a fait son travail avec minutie. C'est drôle mais plus je la regarde et plus je trouve qu'on se ressemble. Elle a la même gestuelle que moi et c'est assez perturbant, je dois dire.

Le repas s'est bien passé et tout le monde a mangé avec appétit. Personne n'a évoqué ce qu'il s'est passé hier. C'est dommage, j'aurais aimé qu'on en parle, mais je ne voulais pas mettre les pieds dans le plat – comme j'ai l'habitude de le faire. Mais même si on en parlait, je ne suis pas sûre que mon père abandonne son comportement dominant. Je me demande comme Sonia fait pour le supporter.

Une fois tout le monde rassasié, je laisse Sonia parler avec son fils et je commence à rassembler les assiettes. En arrivant près de mon père, je le vois m'observer et j'en ai des frissons. Je fais comme si de rien n'était, mais il se met à me parler juste assez fort pour que ça n'arrive pas aux oreilles des autres.

- Alors, tu prévois encore une excursion qui fera inquiéter tout le monde ?

Je réprime mon envie de lui cracher au visage en guise de réponse. Je lui réponds sans détacher les yeux de ce que je fais :

- Je fais ce que je veux, vous n'avez pas besoin de vous inquiéter pour moi.

- Tu es peut-être majeure mais je ne te crois pas capable de prendre soin de toi.

Je ne répond pas et le laisse continuer ses attaques contre moi. Je ne rentrerais pas dans son jeu, j'en ai plus qu'assez de ses remarques provocantes. Sonia et Sam sont toujours en pleine discussion et n'ont rien remarqué. Je crois que Rosa s'inquiète alors je lui souris, en espérant qu'elle n'est pas peur.

Et puis tout est allé très vite. Je débarrasse l'assiette de mon père pendant que lui s'adresse toujours à moi mais voilà qu'il se met à parler plus fort encore. Soudain, il m'attrape fermement le poignet, me le tord presque.

- Tu vas me regarder quand je te parle !

Au contact de ses doigts sur ma main, des flashes me reviennent. Je le revois s'affaler sur le canapé en revenant du bar, toujours avec son même copain de bistrot. Il sentait la bière à plein mais il s'en fichait. Je me rappelle entendre ma mère lui crier dessus alors que j'essayais de dormir. Je le vois entrer dans ma chambre et s'asseoir sur mon lit. Et ensuite..

Je ne sais pas si c'est la douleur ou les souvenirs qui me font crier. Je me dépêche de m'enlever de son emprise, mais il est trop fort et je ne réussis qu'à faire tomber toutes les assiettes au sol. Il a eu un gros bruit de verre brisé puis un silence de mort s'est installé.

- Ne me touche pas !

À présent tout le monde nous regarde, ou plutôt regarde mon père. Je sens les larmes me monter aux yeux. Non, je ne veux pas pleurer devant lui, je ne veux pas qu'il me pense vulnérable. Les battements de mon cœur s'accélèrent. J'observe un instant les débris de verre qui gisent tout autour de moi. On dirait presque qu'ils pointent tous vers moi.

- David ?

Soudain, quelque chose change dans les yeux de mon père. Et, comme si la voix de sa femme avait suffi, il semble revenir à la raison. Il cligne plusieurs fois des yeux avant de desserrer ses doigts. Je n'attends pas qu'il enlève sa main de moi pour lui tourner le dos et courir en direction de la plage. Mes pieds n'avaient pas touché le sable que je sentais déjà les larmes rouler sur mes joues.

Je ne sais pas combien de temps j'ai couru ni combien de plages privées j'ai traversé. Mais je voulais être loin de lui. Une fois à bout de souffle, je me suis arrêtée. Les larmes coulent toujours librement sur mon visage mais personne n'est autour pour me voir. Enfin, c'est ce que je pensais avant de voir Sam courir vers moi. Est-ce qu'il m'a suivi jusqu'ici ?

Je n'ai pas assez de force pour continuer à courir ni pour l'arrêter, alors je m'assois et j'essaie d'essuyer mes larmes en espérant qu'il ne le remarque pas. Je remonte mes genoux sous mon menton et les entoure de mes bras. Je ne fais aucun geste quand il arrive à ma hauteur.

- Qu'est-ce qui t'as pris de partir en courant ? Me demande-t-il, essoufflé. Lola, tu pleures ? Est-ce que tu t'es fait mal ?

Il s'agenouille près de moi et commence à me scanner du regard pour voir si je n'ai rien. J'aimerais lui parler mais mes mots restent coincés dans ma gorge. Alors je secoue négativement la tête. Il semble ne pas comprendre mais il se pose à côté de moi sans poser de question.

Soudain, je sens une pression sur mon épaule. Je lève la tête et je vois Sam, tourné vers moi, les bras ouverts pour m'inviter silencieusement à prendre place dans ses bras. Je ne réfléchis pas longtemps avant de me blottir contre lui. Il m'entoure de ses bras et, à ce moment-là, j'ai l'impression d'être en sécurité. Je tache son t-shirt avec mes larmes mais ça ne semble pas le gêner.

Quand il prend la parole, j'ai l'impression que ça fait une journée entière qu'on est dans cette position.

- Est-ce que tu veux me raconter ?

Mes joues sont sèches à présent, je me sens plus calme. Mais je ne sais pas si c'est vraiment une bonne idée de lui expliquer. Je n'ai pas envie que Sonia ou Rosa commence à le voir différemment. Je ne veux pas ruiner leur vie, ce n'est pas à moi de leur dire ça. Mais Sam me regarde avec ses yeux protecteur, il attend une réponse.

Je m'arrache à lui à contrecœur, mais j'ai besoin d'un peu d'espace pour m'éclaircir les idées. Je ne sais même pas par quoi commencer. Si je ne parle pas maintenant je n'aurai pas le courage de le faire plus tard.

- C'est assez compliqué entre nous.

Merde, ma gorge se serre et je sens les larmes revenir. Il faut que je me calme. Je sens alors la main de Sam se poser sur la mienne. Sa peau est si douce.

- Je vois bien que c'est plus grave que ça, Lola. Tu n'aurais pas réagi comme ça si c'était seulement compliqué.

Je ris jaune. Pourquoi faut-il qu'il me démasque d'un claquement de doigts.

- Disons qu'il n'a pas souvent été doux avec moi.

J'observe Sam faire une grimace – d'énervement ou de dégoût, je ne sais pas. Je pensais qu'il allait me poser d'autres questions mais il se contente de remettre un bras autour de mes épaules pour me rapprocher de lui.

- Sam ?

- Mmh ?

- Merci.

- Pour ?

- Pour être là, avec moi.

Il se contente de souffler du nez. J'aime la façon dont il me regarde. Quand il est question de mon père et de nos problèmes, les gens ont tendance à mettre la faute sur moi, sans vraiment que je sache pourquoi. Leurs regards sont comme des couteaux pour moi, je déteste voir cette lueur d'accusation dans leurs yeux.

Mais une question me vient alors à l'esprit.

- J'espère que je n'ai fait peur à personne ?

- Toi ? Non. David, certainement.

Il me sourit. Ses yeux verts semblent vouloir me mettre dans une bulle protectrice. Je me demande si je l'embrassais, là maintenant, comment il régirait. Mais je n'ai pas vraiment le temps d'y penser plus car il se lève et s'époussette avant de tendre la main vers moi.

- On rentre ? Ne t'inquiète pas, David est parti après toi. Enfin, ma mère l'a envoyé à son bureau. On ne devrait pas le revoir avant un bon moment.

- Il a un bureau en corse ?

- Oui, je crois.

Il hausse les épaule. Ce n'est pas comme si ça m'importait réellement. Il m'aide à me relever et nous partons en direction de la villa.

Through Your SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant