Chapitre 14

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Chapitre 14 :

Je laisse passer un peu de temps après le départ d'Evelyn puis fais rapidement le tour de la soirée. Quelques personnes me sourient ou me saluent d'un signe de tête, s'écartant comme pour m'inviter dans leur conversation. Mais je passe outre. Je n'ai de temps pour personne hormis Harry, et je fends la foule armée d'une singulière détermination.
 
Quand je l'aperçois enfin, je m'arrête net. Au centre d'un petit groupe, il écoute parler une grosse dame brune frisottée, et se retourne comme s'il sentait mon regard. Les  convives ne sont plus pour moi que des taches de couleur floues, et la conversation à peine plus qu'un bourdonnement. Il n'y a plus que nous deux dans cette  pièce et je reste hypnotisée, parcourue de fourmillements, la bouche sèche. Comme si cet homme m'avait ensorcelée et que je l'acceptais de mon plein gré.
 
Je veux savourer la chaleur qui nous enivre. J'ai eu si froid aujourd'hui, je me sens battue par des vents âpres et des marées glacées. Je veux rester ici, perdue dans le temps. Perdue en Harry.
 
Mais je ne peux pas. Comme il y a des choses que je dois faire et dire, je me force à bouger. Un seul pas en avant, et le monde qui m'entoure se ranime – les gens, les couples qui bavardent, les verres qui tintent. Mais mes yeux n'ont pas quitté le visage de Harry, et dans mon sourire il y a une excuse, un pardon. Et une invite.
 
Puis, le cœur tambourinant dans ma poitrine, je fais volte-face et m'éloigne.
 
Au  prix d'un  effort  surhumain,  je  parviens  à  ne  pas  regarder  derrière  moi.  Je retourne  dans  la cuisine,  puis  j'emprunte  le petit couloir  menant à l'ascenseur  de service et descends dans la bibliothèque, à l'étage du dessous qui n'a pas été ouvert aux invités. C'est l'espace privé de Harry, et, bien que je me sente mal à l'aise, je sais que c'est là ma place aussi. Je sors de l'ascenseur en souriant pour entrer dans la petite alcôve qui abrite le bureau et l'ordinateur. L'endroit est invisible pour quiconque monte l'escalier, et je n'y vois pas non plus ces lumières étincelantes et magiques.  Et des étincelles de magie, c'est précisément ce dont j'ai besoin  à cette heure.
 
Je longe les rayonnages faiblement éclairés jusqu'à la mezzanine ouverte. Sous cet angle, les lumières clignotant sur la balustrade font leur effet. Avec mon Leica, je cadre au plus serré, pour ne garder que des points diffus frangés d'un prisme de couleurs éclatantes. Je prends cliché sur cliché, et bientôt me perds dans le monde que je capture dans mon objectif. Les lignes parfaites de cette maison que j'adore... La couverture usée d'un roman de Philip K. Dick que Harry a laissé sur une table, et même les invités du cocktail ; du moins le peu que j'en vois, car ils semblent flotter au-dessus de moi. De là où je suis, je ne distingue pas les paroles. Et je ne vois que les têtes et les épaules des rares qui s'approchent de la rambarde.
 
Je ne peux pas non plus voir mon portrait, et pour le moment j'en suis heureuse. Je suis soulagée que Harry n'ait pas trahi ma confiance, mais je me sens encore exposée, à vif.
 
Soudain, je sais qu'il est derrière moi avant même qu'il me parle. Peut-être ai-je inconsciemment entendu ses pas. Ou senti le parfum de son eau de toilette ? Sans doute sommes-nous tellement en accord l'un avec l'autre, simplement, qu'il nous est impossible d'être proches sans que mon corps réclame le contact de sa main.
 
– J'espère que cela signifie que tu n'es plus fâchée contre moi, dit-il.
 
Adossée à la balustrade, je lui tourne le dos. Un sourire se dessine sur mes lèvres.
 
– Je devrais ?
 
J'entends  le  bruissement  de  ses  vêtements.  Il  est  là,  juste  derrière  moi,  et l'atmosphère se fait plus dense.
 
– Je suis vraiment désolé, dit-il. Je ne voulais pas que Giselle soit au courant. Et je ne pensais pas qu'elle le dirait à Bruce.
 
Je ferme les yeux en pensant à Blaine et au secret que Harry a gardé.
 
– Vous êtes un homme d'une exceptionnelle bonté, Harry Styles, dis-je. Il reste immobile derrière moi.
 
– Non, pas du tout. Mais de temps en temps, je fais une bonne action. Il glisse une main sur mon épaule nue et je retiens mon souffle. Evelyn t'a tout dit ?
 
– Oui.
 
Il entend sûrement le désir dans ma voix. Ses mains se referment autour de ma taille et il m'attire contre lui pour enfouir ses lèvres dans ma chevelure.
 
– J'aurais préféré qu'elle ne le fasse pas. Je ne voulais pas que tu te fâches contre
Blaine.
 
– Je ne lui en veux pas. Ç'aurait peut-être été le cas si j'avais su dès le début que c'était lui, mais tu as évité cela. Je me retourne et relève la tête. Je viens de te le dire, tu es plein de bonté.
 
– Je suis tout de même désolé. Et je le suis encore plus que Giselle soit venue tout au début de la soirée. Elle n'y était pas invitée, et je sais que cela t'a embarrassée.
 
– Je m'en remettrai, dis-je. Puis, pensant qu'Evelyn a peut-être vu clair dans les motivations de Giselle, j'ajoute... Pourquoi ne m'as-tu jamais dit que vous étiez sortis ensemble ?
 
– Tu ne me l'as jamais demandé, répond-il, manifestement stupéfait de la question.
 
– Tu savais que je m'interrogeais, dis-je. Cette nuit-là. La première. Il réfléchit un instant, puis ses lèvres s'incurvent comme si ma question l'amusait. Bon sang, Harry ! dis-je en lui donnant une petite tape sur le bras.
 
– Giselle et moi sommes sortis ensemble quelquefois, mais c'était bien avant qu'elle et Bruce se marient. Et si je me rappelle bien, au moment où il a été question de Giselle, je m'employais à te séduire. Je n'ai pas estimé que te faire la liste de mes anciennes conquêtes convenait à l'atmosphère que j'essayais d'instaurer.
 
Je  suis  forcée  de  sourire.  Le  souvenir  de  cette  escapade  dans  la  limousine  de
Harry est plus que délicieux.
 
– Par la suite, ajoute Harry, le sujet ne s'est jamais représenté.  Et il n'y avait aucune raison. Une seule femme m'intéresse, dit-il avec une telle ferveur que je me sens toute chose. Ça va mieux ? demande-t-il en me relevant le menton.
 
– Oui. Je m'en veux plus que je ne lui en veux. Je n'aime pas jouer les harpies jalouses,dis-je. Mais brusquement, il n'y avait plus que Giselle. Le tableau, le retour de Palm Springs, ce que Tanner a dit, et puis, finalement, découvrir que vous étiez sortis ensemble.
 
– J'ignore ce que Tanner a dit, et le rapport que tout cela a avec Palm Springs... mais je t'assure qu'en ce qui concerne le tableau, Giselle m'a réitéré sa promesse de ne dire à personne que tu en étais le modèle. Elle est parfois étourdie, mais elle tient parole.
 
– Tu lui as parlé ce soir ?
 
– Oui.
 
– Ah ! je suis contente de l'apprendre. Et je ne crois pas non plus que Bruce en parlera à quiconque.
 
– Veux-tu que je lui parle ? Je ne lui ai encore rien dit.
 
– Non, je lui fais confiance.
 
– Et ce Tanner ?
 
Alors je lui explique que Tanner était convaincu que j'avais été engagée pour faire plaisir à Giselle, et je vois la colère flamboyer dans le regard de Harry.
 
– Il a déjà été viré, Dieu merci. Mais ne va rien faire de plus.
 
– Qu'est-ce que je ferais ?
 
– Oh, je n'en sais rien, dis-je en pensant à mon ancien petit ami Kurt. Lâcher les yakusas.  Louer un satellite de défense pour le pulvériser  au laser depuis l'espace. Franchement, qu'est-ce que tu ne serais pas capable de faire ?
 
– J'aime assez l'idée du rayon laser.
 
– Promets-moi.
 
– Je promets. Il n'est plus ni chez Innovative, ni près de toi. Chapitre clos.
 
– Très bien, dis-je, même si l'évocation de Tanner vaporisé au laser ne me bouleverserait guère.
 
– Et Palm Springs ? demande-t-il. J'ai toujours trouvé que c'était un endroit tout àfait idéal pour se détendre. Je voudrais bien savoir comment un endroit aussi agréable a pu arriver sur ta liste d'indices suspects.
 
– Tu te moques de moi ?
 
– Juste un peu.
 
– Tu aurais pu me dire que tu avais ramené Giselle en limousine.
 
– Oh, fait-il en hochant solennellement la tête. Oui, je vois ce que tu veux dire. J'aurais dû. Je l'aurais fait volontiers... si je l'avais ramenée en limousine.
 
Il se moque de moi, évidemment, mais je m'en moque, parce que je suis surprise par ses dénégations.
 
– Mais tu es revenu en limousine. J'ai pensé que c'était parce que tu les ramenais, elle et les tableaux.  Mais si ce n'était pas le cas, pourquoi tu  n'es pas revenu  en hélicoptère ? Ce n'était pas ce que tu avais prévu ?
 
– Si. Mais mes réunions se sont terminées plus tôt que prévu, et comme tu l'as si souvent fait remarquer, j'ai un univers à gouverner. Il est difficile de diriger ses affaires depuis un hélicoptère. Le bruit empêche de dicter, et j'ai remarqué que les clients étrangers se froissent quand ils croient que je leur crie après. Sans compter qu'il est beaucoup plus facile de s'arrêter comme on veut dans un véhicule terrestre et que, voyant que j'avais du temps, j'ai fait étape à Fullerton et à Pasadena.
 
– Et où voulez-vous en venir, monsieur Styles ? je demande en croisant les bras.
 
– À ceci : quand je me suis rendu compte que mon emploi du temps allait se libérer, j'ai appelé mon bureau pour qu'on m'envoie la limousine. Mon assistante m'a dit que Giselle avait téléphoné, espérant que je pourrais lui proposer une entreprise de transport à Palm Springs qui puisse livrer les tableaux pour l'exposition chez moi. Apparemment, elle avait décidé d'en prendre plus qu'elle ne pouvait en charger dans sa voiture.
 
– Et comme tu étais là, tu as proposé de les rapporter toi-même.
 
– Les tableaux, acquiesce-t-il. Pas la femme. Comme tu l'as souligné, je suis parfois d'une grande bonté.
 
– Oui, cela t'arrive, dis-je en riant.
 
– La prochaine fois que tu veux savoir si je transporte une autre femme dans ma limousine, je te suggère de décrocher ton téléphone et de me le demander.
 
– D'accord. Je suis vraiment désolée. Je ne savais plus à quel saint me vouer. Je secoue la tête, exaspérée par mon propre comportement.
 
– C'est pareil pour moi.
 
Je repense à l'orage dans ses yeux, aux problèmes judiciaires qui couvent...
 
– Tu veux bien me dire pourquoi ? je demande doucement.
 
Il me regarde si longtemps que je crains qu'il ne réponde pas.
 
– Je ne veux pas que cela s'arrête entre nous.


– Oh ! Ce n'est pas la réponse que j'attendais, mais je ne peux nier que le soulagement me submerge. Moi non plus.
 
– Vraiment ? chuchote-t-il
 
Il me dévisage, et je lis dans ses yeux la même vulnérabilité mélancolique qu'hier au soir.
 
–  Harry,  voyons,  bien  sûr  que  non  !  Je  reprends  mon  souffle,  cherchant comment lui exprimer ce que je ressens. Tout semble aller de travers, ce soir, comme si rien n'était comme cela doit être. Même cette maison. J'ai tellement l'habitude de venir  ici. De prendre la pose sur le balcon pour Blaine, en sachant que tu nous regardes et qu'après son départ il ne restera plus que toi et moi sur ce lit. Je lui adresse un sourire ému. J'ai été touchée que tu me l'offres, mais cela avait des airs de cadeau d'adieu. Comme si nous fermions une porte.
 
– Ce n'était qu'un cadeau, pour que tu l'aies, que tu t'y étendes et que tu penses à nous. Mais ce soir, c'est moi qui ai cru que tu voulais fermer cette porte. Qu'est-ce que tu m'as dit ? Plus de règles, on ne joue plus ?
 
– J'étais en colère.
 
– Je ne supporte pas l'idée de t'avoir fait de la peine ou de t'avoir fâchée.
 
– Tu n'as rien fait de tel. Pas à proprement parler.
 
– Ah bon ? je me demande... Il fronce les sourcils  et me scrute,  sans que je sache ce qu'il cherche sur mon visage.
 
– Harry ?
 
– Je t'ai observée ce soir. Il mesure ses paroles. Je ne réponds pas, je reste là, sans trop savoir où il veut en venir. Je n'ai pas pu m'en empêcher, continue-t-il. Quand tu es quelque  part,  je  n'ai  d'autre  choix  que  de  te  regarder.   Tu  m'attires.   Tu m'ensorcelles. Et je me laisse faire de mon plein gré. Un sourire éclaire son regard, sans parvenir toutefois à masquer l'inquiétude que j'y lis. Je t'ai observée avec Jamie. Je t'ai vue discuter avec Bruce, j'ai entendu ton rire quand tu bavardais avec ces deux stars de télé grotesques. J'ai vu combien tu étais peinée quand tu t'es éclipsée avec Evelyn. Chacun de tes sourires, chacune de tes moues, chacun de tes rires et chaque peine étaient pour moi comme autant de blessures, Nikki, parce que ce n'était pas avec moi que tu les partageais. Je serre les dents sans répondre.Mais c'est ça qui m'a blessé le plus, poursuit-il en s'emparant de ma main gauche.
 
Je cligne des paupières. Une larme solitaire s'échappe et roule lentement sur ma joue.
 
– Tu m'as vue ?
 
Mon doigt a repris sa couleur normale, et il ne reste plus de marque. Malgré tout, j'ai encore le souvenir cuisant de la douleur. Une douleur que Harry apaise en cet instant d'un délicat baiser.
 
– Tu veux bien me dire pourquoi ?
 
J'ai envie de baisser la tête, mais je me force à le regarder en face. Avec Harry, je ne me sens ni faible ni brisée. Mais j'ai honte, car il m'a demandé de venir à lui si le besoin de souffrir encore me prenait. Et c'est la seconde fois que je ne tiens pas ma promesse.  Contrairement  à  mes  cheveux,  mon  doigt,  au  moins,  a  survécu  à  ma violence.
 
– Je te l'ai dit. Ma journée a été un enfer.
 
– Très bien. Alors, raconte-moi tout. Son ton détaché m'apaise.
 
– Cette soirée... Voir Giselle jouer les maîtresses de maison, au milieu de meubles inconnus. Maintenant que je formule tout cela, je me rends compte que c'est aussi ce qui m'a troublée.  Je ne reconnais  même pas le troisième étage. Cette pièce, cette maison ont été les nôtres pendant si longtemps. Mais ce soir, elles ne sont pas à nous.
 
Et je n'ai pas été à toi.
 
Je ne prononce pas cette dernière phrase à voix haute, je la garde pour moi. Je me
contente de hausser les épaules, un peu gênée, car je viens de confier tant de choses. Je me sens vulnérable et fragile ; je n'aime pas cela. J'attends donc de lui une parole qui me calme.
 
Il lui faut un moment pour répondre, et il me surprend.
 
– Viens avec moi, me susurre-t-il, un sourire énigmatique aux lèvres.
 
Il me prend  la main  et m'entraîne jusqu'à un coin de lecture.  L'endroit le plus discret de la mezzanine,  dont il est impossible de voir le troisième étage. Il y fait sombre, car seules les lumières de la balustrade l'éclairent.
 
–  Que fais-tu  ? je lui demande  quand  il m'attire vers le mur  et appuie sur  un interrupteur.
 
Immédiatement, la vitrine devant nous s'éclaire d'une douce lumière. Elle ne recèle que deux objets, malle aux trésors qui n'en contiendrait que deux. Des exemplaires élimés   de  deux  livres   de  Ray  Bradbury, Fahrenheit  451   et Les  Chroniques martiennes. Je suis un peu perplexe, mais je ne doute pas que Harry ait une bonne raison pour agir ainsi.
 
– Bradbury est l'un de mes écrivains préférés, commence-t-il.
 
– Je sais.
 
Il  m'a  déjà  raconté  qu'il  adorait  la  science-fiction  quand  il  était  gosse.  D'une certaine  manière,  c'était  son  arme  contre  son  père,  son  entraîneur  et  sa  vie.  Je comprends : comment ne le pourrais-je, moi qui avais mes propres armes ?
 
– Il vivait à Los Angeles. Un jour j'ai entendu dire qu'il allait dédicacer des livres dans un magasin de la Valley. J'ai supplié mon père de m'y emmener, mais il avaitprévu une séance avec mon entraîneur, et ni l'un ni l'autre ne voulaient m'accorder cette faveur.
 
– Qu'est-ce que tu as fait ?
 
– J'y suis allé quand même, répond-il avec un grand sourire.
 
– Quel âge avais-tu ?
 
– Onze ans.
 
– Mais comment as-tu fait ? Tu habitais à Inglewood, non ?
 
– J'ai dit à mon père que j'allais au tennis, j'ai sauté sur mon vélo et je suis parti pour Studio City.
 
– À onze ans ? À Los Angeles ? C'est un miracle qu'il ne te soit rien arrivé.
 
– Fais-moi confiance, ironise-t-il. Le voyage a été beaucoup moins douloureux que la réaction de mon père, quand il a appris ce que j'avais fait.
 
– Mais c'est incroyablement loin. Tu as pédalé tout ce chemin ?
 
– Cela ne fait que vingt-six kilomètres. Mais avec les côtes et la circulation, il m'a fallu plus longtemps que je ne le pensais. En voyant que j'allais être en retard, j'ai fait du stop.
 
Mon  cœur  se serre en  repensant  à ma mère,  qui me recommandait  d'éviter  les inconnus et de ne jamais, jamais prendre personne en stop. Je suis terrifiée pour le garçonnet qu'il était, qui a pris d'énormes risques quand son père qu'il entretenait était un salaud au point de ne pas même lui accorder cette petite faveur qui l'aurait rendu si heureux.
 
– Il était moins une, mais je suis arrivé à temps.
 
Évidemment, je sais qu'il s'en est sorti indemne, mais je suis quand même soulagée, pour l'enfant qu'il était.
 
– Et tu as eu ces livres, dis-je en désignant la vitrine.
 
– Malheureusement, non. Je suis arrivé à l'heure pour la séance de dédicace, mais il ne restait plus aucun exemplaire. J'ai donc demandé à Bradbury de me dédicacer un marque-page, faute de mieux. Lorsque je lui ai raconté mon aventure, il m'a dit qu'il pouvait faire mieux que ça. Son chauffeur a chargé mon vélo dans le coffre de sa voiture, et nous a conduits chez lui. Nous avons passé trois heures à bavarder dans son  salon,  puis il m'a laissé choisir  deux livres  dans sa bibliothèque,  il me les a dédicacés et m'a fait reconduire chez moi.
 
Je suis ridiculement émue aux larmes par cette histoire.
 
– Et ton père ?
 
– Je ne le lui ai jamais dit. Il était furieux, mais je lui ai seulement avoué que j'étais parti faire du vélo le long de la plage. Il me l'a fait payer, ajoute-t-il sombrement, mais j'avais les livres. Je les ai toujours.
 
– Je vois cela. Bradbury semble charmant.
 
– Il l'était.
 
– C'est une merveilleuse histoire, dis-je. Je suis sincère. C'est ce genre d'anecdote personnelle que j'ai envie qu'il me confie. Je veux capter des fragments de Harry en moi. Mais je ne sais pas trop pourquoi tu me la racontes là, maintenant.
 
– Parce que chaque chose dans cette maison a une signification pour moi. Pas le décor que j'ai acheté pour la soirée, mais les vrais objets. Il n'y en a pas encore beaucoup, mais ils me sont tous chers. Les œuvres d'art. Chaque bibelot. Même les meubles.  Il  me  regarde,  et  je  lis  sa  passion  dans  ses  yeux.  Pas  sexuelle,  plus profonde. Tu ne fais pas exception, Nikki. Je t'ai amenée dans cette maison parce que je veux que tu y sois, tout comme je voulais ton portrait.
 
– Qu'est-ce que tu dis ?
 
– Je ne crois pas que tu aurais pu me rendre plus heureux qu'en m'avouant que tu étais jalouse de voir Giselle jouer les maîtresses de maison ce soir. Mais soyons clairs. Elle n'est pas la maîtresse de maison, et elle ne le sera jamais. Tu comprends ?
 
J'acquiesce  gauchement.  J'ai le souffle  coupé.  Je suis  bouleversée.  Et je meurs d'envie qu'il me prenne dans ses bras. L'air crépite tandis qu'il s'approche.  Il est proche, tout proche, mais il ne me touche pas. Pas encore. Comme s'il nous punissait tous  les  deux.  Comme  s'il  nous  rappelait  pourquoi  nous  ne  devions  jamais  être séparés, parce que nos retrouvailles sont tout simplement une déflagration.
 
– Harry...
 
Lentement, il me caresse le bras du bout des doigts. Je me mords les lèvres et ferme les yeux.
 
– Non. Regarde-moi.
 
J'obéis,  et mon  regard  plonge  dans  le sien,  pendant  que ses  doigts  descendent jusqu'à  ma main  sur  ma cuisse,  juste au-dessus  de l'ourlet de ma robe.  Sa main recouvre entièrement la mienne. Lentement, il remonte nos mains jointes pour qu'elles retroussent ma jupe à la naissance de mes fesses.
 
– Ta place est ici. Où que je sois, c'est ta place. Tu es à moi. Dis-le.
 
– Je suis à toi.
 
J'ai le souffle court, tandis qu'il lâche ma main et commence à faire remonter la sienne avec une insoutenable lenteur.
 
– J'ai envie de toi.
 
Sa voix rauque éveille le désir en moi. Mon sexe se crispe et il me faut un immense effort pour ne pas retrousser ma jupe d'un coup jusqu'à la taille.
 
– J'ai envie de toi maintenant.
 
– Oh, mon Dieu, oui ! Harry, je t'en prie...
 
Sans ménagement, il me pousse en arrière et je me cale dans l'encoignure. Je me tiens à la vitrine à côté de moi, tandis que sa bouche s'empare de la mienne. Son baiser est sauvage et fiévreux. J'ai une telle soif de lui que je bois avidement tout ce qu'il peut me donner.
 
Ses doigts continuent leur ascension pendant que ma langue lutte avec la sienne et que je mordille ses lèvres. Alors, sa main caresse mon sexe impatient et je pousse un cri que seules ses lèvres posées sur les miennes parviennent à étouffer.
 
– Pas de culotte, dit-il en enfonçant un doigt au plus profond de moi. Tu as dit...
 
– J'ai menti, dis-je. Tais-toi et embrasse-moi.
 
– Vous embrasser ? Mademoiselle Fairchild, je vais faire bien davantage.
 
– Le cocktail ?
 
– Rien à foutre du cocktail, gronde-t-il.
 
– Si quelqu'un descend...
 
– Personne ne viendra.
 
– Mais si...
 
– Nikki ?
 
– Oui ?
 
– Tais-toi.
 
C'est un ordre auquel je ne peux désobéir, car il referme sa bouche sur la mienne et je m'ouvre à lui, je veux le savourer et m'abandonner à lui. D'un geste brusque, il soulève ma cuisse. Je plie le genou et enroule ma jambe autour de la sienne. Ma jupe remonte et il la retrousse encore,  si bien  que je suis complètement  découverte.  Il interrompt notre baiser le temps de contempler mon sexe offert, et pousse un gémissement sourd et presque douloureux. Je ne peux pas le toucher, j'ai besoin de mes mains pour me soutenir entre le mur et la vitrine. Pourtant, je suis dévorée par le désir de sentir sa bite puissante dans ma main. La caresser, savoir combien il a envie de moi, être certaine que son désir est aussi irrésistible que le mien. Sa main glisse sur moi. Je tremble, je suis trempée, et le simple contact de ses doigts me rend folle.
 
– Harry, s'il te plaît...
 
– S'il te plaît, quoi ?
 
– S'il te plaît, s'il te plaît, prends-moi.
 
– Comme le voudra madame, s'amuse-t-il en enfonçant un doigt en moi avec délicatesse.
 
Je ferme les yeux, la tête renversée en arrière, tandis qu'il ouvre sa braguette. Je sens son érection contre ma jambe. Puis l'extrémité de son sexe qui me caresse et m'agace. Ses mains empoignent mes fesses, me soulèvent légèrement, et me relâchent pour que je l'accueille et qu'il s'enfonce en moi. De plus en plus profond, jusqu'à ce que nous soyons saisis par la fièvre et qu'il s'abatte sur moi de tout son poids. Cela ne me suffit pas,  j'en veux plus, et le bruit sourd de mon corps contre le mur doit ébranler la maison. Comment les  invités peuvent-ils ne rien entendre, quand le vacarme de notre passion éclate à mes oreilles ?
 
J'étouffe un cri, cramponnée à la vitrine, tandis qu'un torrent d'étincelles se concentre en moi et menace d'exploser. Je suis tout près de jouir, si près et...
 
Je m'apprête à hurler, quand je sens sa main se poser sur ma bouche. Je renverse la tête en arrière et ravale mon cri en l'enserrant de tout mon être pour l'engloutir au plus profond de moi. J'ouvre les yeux. Il me regarde, ses yeux scrutent mon visage avec une telle passion que je pourrais jouir d'un simple regard.
 
– Harry... je murmure dans un souffle.
 
Son prénom est comme un détonateur. Le plaisir s'empare de lui, je le sens se raidir contre moi, son corps se crispe et sa chaleur se répand en moi.
 
Dans un long soupir, il se laisse retomber sur moi.
 
– Nikki...
 
– Je sais...
 
Ses  lèvres  frôlent  les  miennes  dans  un  tendre  baiser,  qui  contraste  avec  la sauvagerie de ces derniers instants et vient les couronner à la perfection.
 
Il s'écarte de moi. Mes cuisses collent, et même si je suis consciente que je devrais les essuyer, je ne veux surtout pas perdre la sensation de sa présence sur ma peau.
 
– Et voilà, dit-il en me nettoyant avec un mouchoir, avant de rajuster ma robe. Tu es comme neuve.
 
– Mieux que cela, même.
 
Il me caresse les cheveux, suit la ligne de mon oreille, puis frôle ma lèvre de son pouce. Comme pour se prouver que je suis réelle.
 
– Je n'ai pas aimé l'ambiance  d'aujourd'hui,  lâche-t-il finalement.  En te voyant ainsi. En te sachant fâchée contre moi.
 
– Moi non plus, je n'ai pas aimé.
 
– C'est la preuve que faire l'amour quand on se réconcilie peut être génial. J'étais sincère, Nikki, ajoute-t-il en prenant ma main. Je ne veux pas que cela finisse entre nous.
 
Je contemple ces traits réguliers, ce regard droit et exigeant.
 
– Je sais. Moi non plus, je ne veux pas. Je suis décontenancée.
 
Il me caresse la joue et enroule une mèche de mes cheveux autour de son index.
 
– Non. Que les choses soient claires. Je ne veux pas que notre arrangement prenne fin, tu es à moi, et il y a des règles. Et je veux que notre jeu continue.

Trilogie Styles [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant