Chapitre 24

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Chapitre 24 :

Je le regarde fixement, pas très sûre d'avoir bien entendu.
 
– Non, non, dis-je. Richter s'est tué. Il s'est suicidé en sautant d'un toit. Si je le répète, ce sera forcément vrai.
 
– Il a fait une chute mortelle, oui.
 
Je fixe Harry, cet homme dont je suis follement tombée amoureuse. Est-il capable de tuer un homme ?
 
La réponse ne tarde pas à venir : je sais que oui. Il tuerait pour me protéger, j'en suis certaine. Et il tuerait pour se protéger.
 
Soudain, je ne doute plus de ses paroles. Je frissonne, mais pas parce que je suis horrifiée. Non, je tremble parce que j'ai peur de le perdre. Peur qu'il soit reconnu coupable de s'être protégé d'un homme qui était un monstre.
 
– Nikki... dit-il avec une immense tristesse en se levant. Pardonne-moi. Je m'en vais.
 
– Non ! J'ai crié malgré moi en lui saisissant la main et en le forçant à se rasseoir. Ne me quitte pas. Tu as fait ce que tu devais. Ce que ton père aurait dû faire. Je jure que si j'avais été là à l'époque et si j'avais su ce que ce salaud te faisait, je l'aurais tué moi-même. Harry ferme les yeux. Je crois voir du soulagement sur son visage. Raconte-moi exactement ce qui s'est passé, dis-je doucement.
 
Il me lâche la main et se relève. Un instant, je crains qu'il s'en aille quand même, puis je me rends compte qu'il a juste besoin de bouger. Il contourne le lit et s'arrête devant le Monet. Des meules de foin dans un champ dans les splendides couleurs du soleil couchant.
 
Soleil.
 
C'est notre mot de code. Celui que Harry m'a demandé de choisir la première nuit où j'ai été à lui. Afin que je l'utilise si jamais il allait trop loin.
 
Je le regarde en espérant qu'il ne va pas le prononcer maintenant. Je sais que ce doit être difficile de revenir en arrière, de me raconter ce qui s'est passé cette nuit-là. Mais j'ai besoin de l'entendre. Surtout, j'ai besoin que Harry me le dise. Et j'espère avec ferveur que les secrets qu'il dissimule depuis longtemps ne vont pas l'obliger à garder le silence.
 
– Harry ?
 
Il ne se retourne pas. Il ne bouge même pas. Mais j'entends sa voix sourde.
 
– Il a commencé quand j'avais neuf ans. Les attouchements. Les menaces. Je ne te raconterai pas les détails – je n'aime pas avoir ces souvenirs dans ma tête, alors encore moins dans la tienne. Mais je peux te dire que c'était horrible. Je le haïssais. Je haïssais mon père. Et je me haïssais moi-même. Pas parce que j'avais honte, mais parce que je n'avais pas la force de l'en empêcher. Il se retourne. J'ai appris à quel point la force, c'est important. C'est la seule chose qui puisse vraiment vous protéger, et à l'époque je n'en avais aucune. Je hoche à peine la tête, craignant qu'il se taise si je réponds ou réagis trop vivement. Cela a duré des années. J'ai grandi et pris de la vigueur, mais c'était un grand costaud, et avec le temps il ajoutait d'autres menaces à son répertoire. Il avait des photos. Et il... Il marque une pause et inspire profondément.  Il m'a menacé d'autres choses.
 
– Qu'est-ce qui a changé ? je demande doucement.
 
Je ne veux pas qu'il revive toutes ces années. Mais seulement savoir ce qui s'est passé le jour de la mort de Richter.
 
– Pendant tout ce temps, il ne m'a jamais... violé. Il dit cela d'une voix sourde qui me glace. J'avais quatorze ans et nous étions en Allemagne, au centre de tennis de Munich. Je suis monté aux courts sur le toit un soir, je ne me rappelle plus pourquoi. Je ne pouvais pas dormir, je ne tenais pas en place, enfin, peu importe. Il est monté à son tour. Il avait bu. J'ai senti l'odeur de l'alcool. J'ai voulu m'enfuir, mais il m'a barré  le  chemin.  Il  a  essayé,  pour  la  première  fois  il a  essayé  de  faire  pire  que d'habitude. Il croise mon regard. Je ne me suis pas laissé faire.
 
– Tu l'as poussé du toit ?
 
Le sang bourdonne à mes oreilles.
 
–  Nous  nous  sommes  battus,  dit-il.  Je  l'ai  frappé  avec  ma  raquette.  Il  me  l'a arrachée des mains et m'en a cogné l'arrière de la tête. J'ai eu de la chance que la blessure ne soit pas visible, sinon la police se serait intéressée à moi d'un peu plus près à l'époque. Mais nous nous sommes salement bagarrés. Nous étions près du bord du toit, à un endroit dépourvu des grillages destinés à empêcher les balles perdues de tomber. Je ne me rappelle pas exactement ce qui s'est passé. Il s'est jeté sur moi, et je l'ai repoussé. Il a titubé en arrière et puis il a trébuché sur quelque chose. Je ne sais pas très bien quoi. Il est tombé du toit, mais il a réussi à s'agripper au rebord. Il se cramponnait, et moi j'étais paralysé. Incapable de bouger. Il m'a appelé à l'aide. Je n'ai pas bougé. Il criait mon nom et je me rappelle que je sentais encore le coup sur mon crâne. J'ai fait un pas vers lui. Un seul, puis je me suis arrêté. Et il est tombé. Il ferme les yeux et un frisson le parcourt. Je suis retourné à ma chambre, mais je n'ai pas dormi. Le lendemain matin, un assistant est venu m'annoncer que Richter était mort.
 
– Ils ne peuvent pas t'inculper, dis-je. Tu n'as rien fait de mal.
 
– Il y a un moment où j'aurais pu le sauver, dit-il. J'aurais pu bouger plus vite. Lui tendre la main.

Trilogie Styles [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant