6.

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J'émerge difficilement de ma nuit de sommeil. 

Je crois n'avoir jamais aussi bien dormi de ma vie que cette nuit ; après quatre jours à somnoler sur une planche de bois sans couverture ou oreiller, un lit, c'est un vrai luxe. Dehors, il fait jour mais les arbres et les herbes de la pelouse m'indiquent un fort vent. Je donnerais tout pour aller me balader dehors, mais comme je ne sais pas si j'en ai l'autorisation, je préfère ne pas tenter le diable. Ne pas tenter Di Casiraghi, donc. Après m'être habillée, je décide de descendre et comme la veille, prend l'escalier. Dans l'entrée, je m'engage dans le couloir et découvre Andrea assis seul, les yeux rivés sur son portable, à la grande table sur laquelle trône des pancakes, de la brioche, des muffins, des oeufs brouillés,  des tas de viennoiseries et pâtisseries. Je m'avance vers la cuisine dans l'optique de me faire un café et en sentant une présence derrière moi dos, je me retourne. Assis dans un des fauteuil, Thaddeus lit un tas de feuilles et je remarque une tasse de thé à côté de lui sur la table basse. Ni l'un ni l'autre ne semblent m'avoir vu jusqu'a ce que... 

- Je vais vous laisser, déclare Andrea. 

Il se lève, pose son assiette et sa tasse dans l'évier et m'adresse un simple signe de tête en me croisant. M'avançant vers la cuisine, je prends une dosette que je met dans la machine à café et appuie sur le bouton. Le café coule dans la tasse pendant une minute, puis le silence revient dans l'immense pièce. Di Casiraghi ne décolle pas les yeux de ses papiers, l'air très concentré, et je porte à ma bouche un scone. Je crois que la conversation va débuter bientôt, car elles commencent généralement toujours par un silence... Comme le calme avant la tempête. 

- Tu t'es déjà demandé si les monstres faisaient la guerre, ou si la guerre faisait les monstres ? 

Et voilà, j'avais raison. Pour autant, je ne réponds pas et il relève le nez de ses feuilles et se résigne à les poser devant lui. Je croise son regard pour la deuxième fois depuis mon enlèvement, et observe que ses yeux se sont un peu foncés comme si les démons de sa conscience gagnaient peu à peu du terrain dans la fenêtre de son âme. 

- C'est une question piège, je répond. Les monstres et la guerre ne font qu'une seule chose : anéantir les autres. 

Il me fixe en silence. 

- C'est ce que tu va me faire ? M'anéantir ? je reprend. J'aimerais bien le savoir à l'avance. 

Un léger sourire éclaire ses lèvres, il se penche et boit un peu du thé dans sa tasse. Ce n'est vraiment pas drôle et je déteste cette capacité qu'il a à tourner absolument tout en sujet de dérision ironique. Je le regarde faire, presque religieusement. Puis il attrape son stylo, ses feuilles dans lesquelles il fouille, avant de la trouver la bonne et de relever la tête à nouveau vers moi. 

- Tu sais ce que je lis ? 

- Un livre érotique ? je ricane avec sarcasme.

- Si je voulais lire un livre érotique, je lirais dans ton acte de décès, réplique t-il calmement. 

Cette remarque me fait à mon tour étirer les coins de ma bouche. 

- Non, je lis le rapport de ton enlèvement. 

Pourquoi est-ce que ça m'étonne ? Bien sûr qu'Andrea devait rendre des comptes à son patron, bien sûr qu'il y  aurait un rapport, une trace écrite de ce qu'il s'est passé. C'est toujours comme ça, ici. Je me met à penser que au vu de tout ce que j'ai fait, je vais prendre cher ; mais après tout, ce n'est pas comme si j'avais quelque à faire, à accomplir. Même si ils me tuent, ce sera une victoire, alors bon... Di Casiraghi se lève, sa main droite dans sa poche, la gauche tenant le paquet de feuilles dans l'autre, et se met à me lire ce qu'il y a d'écrit en faisant les cents pas dans le salon de l'immense manoir. 

ULTRAVIOLENCE • T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant