ULTRAVIOLENCE • T2

47.

Je me saisis de mon stylo rouge pour corriger l'exercice de l'adolescente avec qui je suis. Normalement, elle avait tout compris, alors ça devrait bien se passer. Je passe chaque question en revue, corrige. Ce n'est vraiment pas mal : je lui explique ses rares erreurs, la félicite, et lui donne le travail pour la semaine prochaine avant de me lever, car nous avons un peu dépassé sur l'heure. Elle me remercie, je lui souris et lui souhaite une bonne semaine avant de traverser le couloir pour aller saluer sa maman. Cette dernière me donne une enveloppe contenant le paiement, je discute quelques minutes avec elle des actualités et des progrès de sa fille en italien, puis je lui souhaite bon courage et quitte la maison. La journée est terminée pour moi, c'était mon quatrième et dernier cours du jour. Avoir ce métier, cette indépendance, un petit bout de ma vie d'avant, est tellement précieux après tout ce qu'il s'est passé... Je suis fière d'avoir tenu bon même face aux réactions parfois incompréhensibles de Thaddeus pour regagner cette part de bohneur. Je repasse par mon appartement pour me refaire une beauté, déposer mes affaires et passer au toilettes avant de reprendre la route vers Netherton. Une fois arrivée, je me gare, prends mon sac et rentre à l'intérieur. La demeure est silencieuse. Personne. Un petit sourire au lèvres, je me déchausse et monte à l'étage, où je frappe à la porte du bureau. 

- Entre, Violence. 

Après avoir poussé la porte, je la referme derrière moi et m'approche de Thaddeus. Il porte une chemise blanche et un pantalon de costume gris, une tenue qui le sied parfaitement, et je l'embrasse. Sa main se pose sur ma nuque et je m'abandonne complètement à sa bouche, comme toujours lorsqu'il fait ça car il sait que c'est mon point faible. Nous nous décollons quelques secondes après, et je vois qu'il range toutes ses affaires. Surprise, je hausse un sourcil.

- Tu as déjà fini le travail ? 

- Je me suis arrangé pour déléguer un peu plus hier et aujourd'hui, pour prendre mon après-midi. Je t'emmène quelque part. 

- Où ça ? je demande. 

- Chacun son tour d'être mystérieux, répond t-il. 

La référence à notre petite sortie d'avant-hier soir ( puisque nous n'avons pas pu nous voir hier, j'avais un dîner chez des parents d'une élève ) me fait sourire, et il referme à clé la porte de son bureau. Ravie de cette sortie à deux, comme un couple marié normal, je me mords la lèvre ; si j'avais su un jour que je serais à ce point heureuse... Dans l'entrée, je revêt ma veste, ne craignant pas le froid, et il met son manteau puis nous claquons la porte du manoir. Pas de soldats en vue, nous remettons nos alliances ; ce secret me fait beaucoup rire, et je me prête très facilement au jeu. Pire, je trouve que cela a fait gagner quelque chose à notre relation, un espèce de charme, comme si c'était devenu encore plus personnel et symbolique entre nous. 

- Tu est très belle, me dit-il quand je m'installe sur le siège passager de la Cadillac.

- Toi aussi, je dis. Spécialement quand tu portes des chemises blanches. 

- Je retiens. 

Il pose une main sur ma cuisse, et je pose la mienne sur la sienne. Mari et femme. C'est étrange, mais même après presque une semaine, je n'en reviens toujours pas de l'avoir épousée, presque comme si c'était trop beau pour être vrai. Mais c'est bien vrai. Nos doigts entrelacés alors qu'il prend la direction de l'autoroute, je le fixe. Il est tellement beau. Et il est tellement plus que beau. 

- Tu baves, fais attention. 

Je lui envoie un petit coup de coude, le sourire en coin. C'est drôle de voir à quel point certains de ses traits de caractère s'opposent sans vraiment s'opposer ; son sens de l'humour très particulier avec sa personnalité quand il travaille, par exemple. Ou lorsqu'il est taquin et lorsqu'il est pointilleux, aussi. C'est un homme incroyablement complexe et complet, et je ne saurais exprimer avec des mots la gratitude que je ressens envers la vie pour l'avoir placé sur son chemin - indirectement, certes, mais quand même.