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Mes talons claquent dans l'allée. Me retrouver un peu seule pour me préparer dans cette chambre tamisée m'a permise de relâcher un peu la pression accumulée à cause de l'altercation de ce matin, et j'ai mis un pantalon noir bien droit avec une chemise blanche. Une tenue qui fait très professionnelle, alors que je reviens seulement au manoir pour dîner. Et étrangement, je trouve que cela a une symbolique, dans ce que nous vivons. Nous ne vivons pas à travers une relation, de quelque nature qu'elle soit, nous vivons à travers ces dîners que nous partageons depuis le début, nous vivons à travers ces sorties que nous faisons, ces entrevues dans son bureau, ces nuits où nous essayons de nous détruire ou au contraire de nous réparer, ces moment d'intimité dans lesquels nous glissons avant de nous reprendre pour continuer à vivre notre journée plus conventionnellement. Nous appartenons bien plus à ces moments-là qu'a une sorte de relation. Je pousse la porte du manoir et la referme derrière moi avant d'essuyer mes bottines sur le tapis dans l'entrée et d'enlever mon manteau. La demeure est silencieuse, et je traverse le couloir en maudissant le bruit que les talons font dans une maison aussi gigantesque - ça résonne un peu trop. Dans la grande pièce, les lustres en cristal éclairent une table bien remplie et je vois Thaddeus posté à la fenêtre, assis sur le rebord à fixer l'extérieur. Puis il se détourne et ses yeux se plongent dans les miens.

- Je n'étais pas sûr que tu allais venir. 

Il porte un pantalon noir et une chemise blanche, pas ouverte au col mais il ne porte pas de cravate en tout cas. J'ai un petit sourire en remarquant que nous sommes habillés pareil. Accordés, pour une fois. 

- La carte du room-service n'était pas à mon goût, je dis. 

Ses yeux me transpercent, me traversent de part en part. 

- Et qu'est-ce qui est à ton goût ? Le manoir ? Ce que les cuisiniers préparent ? 

Toi. 

- C'est un ensemble, je souris. 

Nous nous asseyons comme d'habitude l'un à un bout de la table, l'autre à l'autre bout, et nous nous servons des plats fumants. Je prends du rôti de boeuf, de la purée et aussi des champignons rissolés ( qui ne seront jamais sûrement aussi bons que ce de ma tante, mais délicieux quand même ). 

- Est-ce que tes proches sont au courant pour ta tumeur ? 

- Ça dépend ce que tu entends par " proches ". 

- Tes amis, ta famille... 

- Oxan et Enzo le savent mais ils ont ordre de ne rien dire. Et je ne suis pas très famille, Violence. 

Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne pas que ce soit seulement Oxan et Enzo qui le sachent, et personne d'autre ? Peut-être parce que ce sont les deux seules personnes qui se rapprochent le plus d'amis pour lui. Quant à sa famille, c'est vrai qu'il n'en parle jamais. A t-il des frères et soeurs ? Des parents ? D'autres membres de sa famille de qui il est proche à part sa cousine Lisa ? 

- Et il y a moi, je dis. 

- Hm. 

Je continue de manger en silence, ne sachant pas très bien comment prendre cette dernière onomatopée. Si seulement quelques personnes sont au courant et que j'en fais partie, c'est que je dois quand même avoir gagné un statut un peu plus important que l'ancienne-cliente -qui-a-des-comptes-à -régler-avec-le-boss, non ? 

- Et toi ? Qu'est-ce que tu voudrais faire ensuite ? 

- Ensuite, c'est-à-dire ? je questionne. 

- Après tout ça. 

Le fait qu'il évoque une fin à ce séjour me met un petit coup à l'âme, mais je fais mine de rien. Je crois que c'est aussi parce que je n'a aucune idée d'où je vais, ni de pourquoi je reste, ni de ce que je vais faire ici, je suis dans le flou, j'attends juste... Quelque chose, quelque chose qui ne vient pas. Et comme il l'a précisé, un jour, ça se terminera. Un jour, tout déraillera. Un jour, cette folie qui a parfois du bon s'arrêtera. 

ULTRAVIOLENCE • T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant