21.

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 Je m'assois dans le siège devant son bureau pendant qu'il s'installe derrière, et ouvre le premier bouton du col de sa chemise pour respirer un peu mieux. Durant de longues secondes rien ne se passe, nous ne nous regardons même pas, puis il dit : 

- J'ai fait vider tout le manoir, il n'y a plus une seule bouteille ici. 

Sans comprendre, je le regarde. Comment est-ce que je vais faire ? Je m'étais habituée à mon verre du soir, j'en ai besoin pour tenir le coup. J'en avais besoin à des milliers de kilomètres de lui et j'en ai encore plus besoin maintenant, mais comment est-ce je vais faire ? 

- Je ne te laisserais pas avoir un verre de plus.

- Je te déteste, je siffle. Je te déteste tellement, si tu savais à quel point. 

Il fait un geste provocateur de la main, un geste qui veut me dire " vas-y, continue à parler et à faire tourner le moulin, de toute façon je n'écoute pas ". La fatigue, l'accident, le stress, la scène qu'il vient de se passer il y a quelques minutes et mes mains tremblantes de ne pas avoir eu ma dose aujourd'hui reprennent le dessus sur ma conscience. En une seconde, je me lève et renverse tous ses dossiers sur son bureau, prise d'une colère folle.  Son visage se ferme en un clignement de paupière, passant d'un homme détendu mais sérieux à une haine froide qui refait surface. 

- Je sais pas pourquoi je t'ai suivie ici; Je te déteste, je te déteste, je te déteste pour tout ce que tu m'a fait. 

- Continues de me détester Violence. Tu sais bien que je n'en ai rien à faire. 

- Tu est vraiment détestable, Thaddeus, je crache. 

Il se lève, les muscles de la mâchoire contractés.

- Tu laisses ta vie te contrôler. Tu ne domptes rien, ni tes désirs ni tes démons, tu est faible. Et alcoolique. 

- Je préfère être faible, qu'être un homme qui se cache derrière son travail parce qu'il a peur que l'on sache qui il est. 

- Tu est exactement comme mon père, articule t-il. 

- C'est pour ça que je te dégoûte ? Que tu me hais sans aucune raison ? je ricane. 

Il ferme brièvement les yeux puis les rouvre. 

- C'est l'alcoolique qui parle, là, tu sais ? Tu as besoin d'un verre, mais tu ne peux pas l'avoir donc tu te venges, tu essaye de te distraire. Va dormir un peu, ça ira mieux demain. 

Je ne prends même pas la peine de répondre après l'altercation que nous venons d'avoir, traverse la pièce au pas de course et claque la porte si fort derrière moi si fort que les murs en tremblent. Je descend les escaliers, m'enferme dans ma chambre et m'assois sur le lit, épuisée, vidée. J'ai mal dans tout le corps et surtout, j'ai des bleus à l'âme de ce qu'il vient de se passer. J'ai l'impression qu'il souffle le chaud et le froid en permanence, et que tout risque de dégénérer à tout moment entre nous ; mais c'est très souvent négatif. Très, même trop souvent, ce sont des disputes qui en résultent. Comme je lui ai dit sur la sortie de la nationale, je suis fatiguée de vivre comme ça, d'attendre toujours son prochain coup, de fuir, d'avoir ce genre de discussions avec lui, je veux que ça s'arrête, et je ne sais pas comment faire. Lassée, et étant donné la journée qu'il s'est écoulée, je me rue à la douche même si il est cinq heures du matin passées, et me savonne pendant de longues minutes comme si j'essayais d'effacer les traces de tout ce qu'il s'était passé. Une fois propre et séchée, je me glisse dans les draps du lit avec la désagréable sensation de n'être pas à ma place ici, de manquer l'occasion de faire ce que je dois vraiment faire - partir. Les paroles de Thaddeus tournent en boucle dans ma tête, et je repasse le film des vingt-cinq dernières minutes sans m'arrêter. Quelques larmes débordent. Je suis à bout de nerfs, je suis épuisée, j'ai besoin d'un verre, rien ne va et j'ai l'impression que rien n'ira jamais. En fait, j'ai l'impression que depuis que j'ai croisé son chemin, ma vie n'est plus qu'un tas de ruines qu'il s'amuse à me laisser reconstruire pour ensuite le bombarder la minute d'après. C'est comme si depuis que je le connaissais, tout avait changé et tout continuait de changer, presque jour après jour, inlassablement. Aurais-je encore la foi de tenir un peu ? Tenir, oui mais contre quoi ? Contre lui ? Contre moi ? Tenir pourquoi, d'ailleurs ? Dans quel but ? Tenir, mais pour quel avenir ? Et à quel prix ? Je me retourne dans le lit sans pouvoir trouver le sommeil, mon corps pèse une tonne sur ce matelas. Comment est-ce que j'ai pu croire que tout irait bien si je revenais à Netherton ? C'est comme si un coup j'étais aveuglée, et un coup j'avais les yeux grands ouverts. Et c'est fatiguant de toujours se demander si on a pris les bonnes décisions, c'est fatiguant parce que cela veut dire ne jamais être sûr de rien et avec lui c'est exactement ça, je ne suis jamais sûre de rien. 

ULTRAVIOLENCE • T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant