Je me redresse lentement dans le lit d'hôpital. Trois jours ont passé depuis que Thaddeus s'est suicidé, et je n'ai pas été seule une seule seconde, car Enzo n'a jamais quitté la chambre dans laquelle j'ai été placée en observation. Il s'est douché dans la salle de bain, a passé des heures entière à me regarder me tordre de douleur, a supporté mes sanglots des nuits entières, et il n'a pas bougé d'un poil. Trois jours ont passés, et le choc s'est estompé un peu. Je suis enfin lucide, mais il me manque des bribes du puzzle ; je n'ai aucune idée de comment j'ai atterri à l'hôpital, par exemple, je crois que mon cerveau s'est éteint sous la violence du choc. Trois jours ont passé, trois jours à hurler de douleur parfois, trois jours allongée les yeux dans le vide, sans manger ou presque, comme si ma propre conscience s'était suicidée avec lui. Je touille la purée dans mon assiette, Enzo est sur son téléphone, mais le bruit de la fourchette qui racle la céramique ne lui échappe pas et il relève le nez.
- Tu dois manger.
- Je veux sortir, je murmure.
Il se lève et hoche la tête.
- Tu manges, tu prends une douche, et on y va.
Je lève faiblement la fourchette jusqu'a ma bouche et me met à manger lentement, cette action étant un véritable supplice. Abandonne-toi, souffle une voix dans ma tête. Laisse-toi aller, laisse-toi dépérir. Mais je la combats, bouchée après bouchée, et finit par me lever pour m'enfermer dans la salle de bain. L'eau coule doucement sur mon corps, brûlante, mais jamais plus que ma peau dont j'ai l'impression qu'elle bout en permanence, à vif. Ma première douche en trois jours. Une fois habillée, propre, les cheveux séchés mais toujours dans cette espèce de neurasthénie, je sors de la salle de bain. Sur mon lit au draps blancs trône un petit sac d'affaires, sûrement celles que je portais le jour où c'est arrivé. J'échange un regard avec Enzo.
- On peut y aller ? je demande.
Il hoche la tête, prend le sac et je jette un dernier regard derrière moi avant de quitter la chambre. Je me revois, il y a quelques dizaines d'heure, me tordre de douleur dans le lit, mais je ne m'attarde pas sur cette vision et referme la porte ; nous traversons l'hôpital et nous sortons pour marcher en silence jusqu'au parking. Je monte dans la Jeep, et l'homme à côté de moi allume le contact toujours sans rien dire.
- Qui est au courant ? je demande.
- Toi et moi, sinon, personne.
Je me tourne vers lui, incrédule.
- Quoi ?
Il démarre la voiture, se tourne pour regarder dans le pare-brise arrière et manoeuvrer afin de sortir de l'emplacement où nous étions garés. Comment ça se fait que personne ne sache ce qu'il s'est passé, alors que Thaddeus doit très souvent appeler ou rencontrer des gens ? Alors qu'il est le patron et qu'on remarque forcément son absence ?
- Il s'est arrangé pour faire tout son travail de la semaine, et tout le monde pense qu'il est en voyage d'affaires.
- Pourquoi il a fait ça ? je demande. Ça n'a aucun sens de...
- Pour toi, me coupe t-il.
Il y a un petit silence.
- Pour te laisser sept jours de deuil, sept jours pour surmonter le choc. Pour te laisser du temps.
Je plonge mon visage dans mes mains, le corps pris de soubresauts encore une fois. La voiture s'arrête à un feu rouge alors que mes larmes dévalent mes joues sans que je puisse les arrêter ; je n'arrive pas à y croire. Même dans la mort il a eu la présence d'esprit et l'attention de me laisser du temps. Le manque de lui s'accroît de minute en minutes, la douleur afflue comme un barrage qui viendrait de céder, et quand enfin je me suis calmée, nous débarquons sur une voie d'insertion sur l'autoroute. Il met un grand coup d'accélérateur, se place ente deux voitures, et j'essuie mes larmes comme je peux avant de me moucher.
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ULTRAVIOLENCE • T2
RomanceIl a laissé sa marque sur elle. La traque ne fait que commencer, et il ne s'arrêtera pas avant d'arriver à son but. Ce qui les lie est bien plus profond que ce qu'ils croient. Ce qui les réunira sera bien plus puissant qu'une simple chasse.