I. 9

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En raison des circonstances, Jérémy a l'autorisation très exceptionnelle de demeurer dans l'hôpital pour la nuit, à condition qu'il reste dans notre chambre.

Le jeune homme aux cernes prononcées a quitté le bord de mon lit depuis quelques minutes déjà pour regagner le fauteuil de la chambre. Il se redresse soudain, incapable de céder au sommeil.

Mon frère d'adoption demeure silencieux ; je m'applique donc à lire son langage corporel. Il sort son téléphone et le regarde, rêveur. Attend-t-il un appel ou doit-il en passer un ?

Il relève brièvement la tête, regardant à travers moi. Je suppose que ça un rapport avec moi.

Je le laisse dans l'abysse de ses pensées en attendant qu'il se sente prêt à se confier. Son regard se reporte sur ses mains qui font tourner son téléphone d'un geste nerveux. Il regarde en direction de la porte, tapant nerveusement du pied, où une personne des forces de l'ordre est postée devant. Il la fixe un instant.

Soit il veut me parler mais il se sent écouté soit il veut me parler de quelque chose qui concerne ma sécurité.

Enfin, il allume le téléphone qui valsait entre des doigts nerveux.

- Presque 5h00... soupire-t-il en constatant l'heure.

La curiosité vient écraser ma patience.

- Quoi ?

Jérémy m'ignore presque. Il ne m'a peut-être pas entendu, tant ses pensées ont l'air de parler fort dans son esprit.

De nouveau il joue avec son téléphone, le faisant tourner entre ses mains. La même agitation le pousse à taper légèrement la paume de sa main avec l'appareil et de plus en plus fort, comme si quelque chose l'irritait et qu'il n'arrivait pas à se décider.

Finalement, il range son téléphone dans la poche droite de son pantalon dont l'habitude est trahie par le rectangle délavé du jeans. Le soucieux inspire profondément puis souffle tout l'air de ses poumons.

C'est Thérèse qui nous disait tout le temps de respirer calmement pour faire taire nos angoisses. Je réprime une nouvelle envie de fondre en larmes en me rappelant qu'il y a des tas de choses que je garderais à jamais d'elle dans ma façon de vivre.

Jérémy ouvre la bouche puis la referme. Au bord de l'agacement, je serre les dents pour réprimer l'envie de lui tirer les vers du nez : allez Jérémy, parle-moi.

La prunelle de ses yeux est ternie par une indécision empreinte d'inquiétude. Et soudain, se rappelant que je suis là :

- Hemerit voulait que je le prévienne dès que tu te réveillerais... L'inspecteur veut te voir en premier et je crains qu'il ne te pose des tas de questions. Il veut avoir ta version des faits. En même temps c'est nécessaire pour son travail, pour pouvoir arrêter G... Mais je ne veux pas qu'il te bouscule ! Je pense que tu devrais te reposer encore et puis il est tôt, je préfèrerais qu'il vienne dans la journée. Tu comprends ?

Il a parlé de manière précipitée mais pas assez pour me faire manquer le fait qu'il n'a pas pu prononcer le nom de Georges. L'évoquer est devenu tabou pour lui et la peur ancestrale d'attirer les foudres du monstre l'empêche de prononcer son prénom.

Je comprends qu'en fait c'est lui qui ne veut pas être bousculé ! Il a peur, je crois, de cet homme et de ce dont il est capable.

Jérémy s'approche à nouveau de moi et enserre mes petits bouts de doigts dépassant de l'attelle du bout des siens, faisant frémir tous mes nerfs endoloris.

- Je vais me chercher un café et je reviens veiller sur vous, dit-il en regardant ma sœur aux yeux toujours fermés. Vous pouvez dormir tranquille. Ne vous inquiétez pas.

Enfants des Astres-Livre I : Nomen OmenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant