I. 5

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- Quelle mine affreuse ! Tu as fait un cauchemar ? fait une voix grinçante.

Un fort effluve de parfum et un casque de cheveux noirs colorés entrent dans la chambre.

- Ce n'est rien, ça va passer, ajoute-t-elle avec un fort dédain.

Je n'ai pas besoin de plus de détails pour reconnaître la femme que je déteste peut-être le plus au monde et que je tiens pour responsable d'à peu près tous mes malheurs passés - Madame Christine, notre assistante sociale. C'est comme ça qu'elle veut qu'on l'appelle, car elle ne se sert de son nom de famille que pour les papiers administratifs.

Au début, j'avais cru en elle. Petite, j'avais placé tout mon espoir en cette femme : celui de trouver un jour deux parents qui nous adopteraient, une famille dont on ferait partie, ma sœur et moi. Dans ces moments-là, elle incarnait notre seul moyen d'être comme tous les autres enfants, avec une famille.

On s'était dit qu'elle trouverait pour nous les parents parfaits que l'on avait maintes fois imaginés : gentils, soucieux de nous, protecteurs. Mais après plusieurs échecs et malgré nos efforts à toutes les deux, il était devenu clair que personne n'adopterait à long terme des jumelles.

En réalité, Mme Christine n'a, de mon point de vue, jamais espéré que quelqu'un puisse vouloir de nous et c'est pour cela que je la hais tant. Jamais elle ne s'est épuisée à nous trouver une famille avec qui on aurait nos chances. Tout ce qu'elle a fait ça a été de nous caser quelque part pour remplir sa part du contrat et être payée à la fin du mois.

Aujourd'hui encore, elle porte son éternel rouge à lèvres sanguin qui forme des paquets sur ses lèvres comme la marque de sa prétention. Ses yeux sont noircis au crayon et son visage orangé de fond de teint est recouvert de crème antirides. Elle tient à la main sa source principale de nourriture, un magazine people.

Cela faisait presqu'un an que je ne l'avais pas vu, depuis sa dernière visite dans notre famille d'accueil et elle ne m'avait absolument pas manqué.

Elle s'installe sur le fauteuil qui a accueilli mon sauveur quelques minutes plus tôt et regarde à ma droite d'un air fatigué.

- Ta sœur dort toujours, se plaint-elle. Tu me diras, c'est peut-être normal après être tombée à travers un escalier en bois... Elle a eu de la chance, finalement ça lui a servi de protection contre les flammes ! Bon : une jambe cassée, quelques côtes, une fracture au crâne mais rien d'irréparable en somme !

Je gémis en essayant de me redresser pour apercevoir Soleïane sur son lit d'hôpital car, contusionnée de partout et les cervicales coincées, je n'arrive pas à m'orienter vers elle. Du coin de l'œil, je vois une jambe plâtrée du talon au genou suspendue en l'air. Sa tête est enrubannée d'un bandage qui court sur son front et une potence est installée à son côté.

Je suis prise d'une crise de panique, étranglée par un sentiment de culpabilité. C'est ma faute si Soleïane s'est précipitée dans cette maison en flammes. Ça me rend dingue d'être responsable de son affreux état.

Sa peau, plus pâle qu'une neige immaculée, est seulement mouchetée de quelques tâches de rousseurs qui, d'ordinaire, rendent son air toujours jovial et animé. Son visage, quant à lui, rappelle la dureté fragile de la porcelaine dont la blancheur presque brillante est ternie par un teint maladif.

- Hé, doucement... m'interpelle une femme qui entre justement dans la chambre.

Les pans de sa blouse blanche frôlent le mobilier médical lorsqu'elle s'avance jusqu'à moi.

Mme Christine en profite pour interrompre sa courte garde et s'échappe dans le couloir sans un regard en arrière.

- Si tu te lèves comme cela tu risques de définitivement casser ta côte fêlée.

Enfants des Astres-Livre I : Nomen OmenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant