Dans la voiture, Achille allume la radio qui vient combler le silence de notre fatigue.
— Ah non, réagit immédiatement Suzanne qui conduit. J'ai besoin de silence.
Elle appuie sur le bouton power d'un coup sec. Achille laisse échapper un petit rire.
— Tu ne vas pas t'endormir au moins ? Je n'ai pas envie d'avoir un accident.
À l'arrière de la voiture, je hausse les yeux au ciel : comme si quelqu'un, dans le monde, avait déjà désiré avoir un accident de voiture.
— Pourquoi, tu veux prendre le volant ? lui lâche-t-elle avec un sourire en coin.
Achille soupire, déconfit et défait, manquant sans doute de répartie.
À travers la vitre, les reliefs parcourent le sol à l'infini en jouant à saute-mouton avec l'horizon. Je me laisse hypnotiser jusqu'à ce qu'ils soient interrompus par l'immense grille du Refuge des Deux Astres.
Je me traîne jusque dans la maison, avec des tiraillements dans les jambes. Je suis vaccinée de virées shopping pour le restant de mes jours. Dans l'entrée, je lâche les sacs au sol sans cérémonie et me hâte de rejoindre le canapé.
Voilà, parfait. Je suis entourée de tout ce dont j'ai besoin : de la nourriture à proximité dans la cuisine, du divertissement avec la télé en face de moi et des coussins pour m'allonger et ne plus bouger pendant au moins deux jours. Que demander de plus ? Je coule dans les renfoncements du canapé pour ne même plus songer d'en bouger. Je reste agréablement immobile ; mes muscles se détendent enfin. Je peux ralentir ma respiration et garder le regard dans le néant à travers la fenêtre pour me vider la tête dans un temps qui n'a plus de limite...
— Eh bien, soupire de fatigue Achille. Voilà un bon 4 juillet qui s'achève !
En une fraction de seconde, je suis sur mes pieds, prête à démarrer le plus grand sprint de ma vie. Je m'élance à toute vitesse dans la cage d'escalier pendant que mon cœur fait des bons vertigineux dans ma poitrine. Je ne pense plus à rien, seulement à rejoindre le plus vite possible l'étage supérieur.
— Il est sur le bureau, dans ma chambre ! me lance Soleïane alors que je gravis déjà les marches deux par deux.
Son cœur a également dû manquer un arrêt et partir en vrille lorsque Achille nous a informé de la date du jour. Comment avons-nous pu passer à côté ? On va dire qu'on a été particulièrement occupées à reconstruire nos vies.
J'ouvre sans ménagement la porte de la chambre de Sol. J'arrive à bout de souffle à l'endroit indiqué. Je soulève le rabat de l'ordinateur portable, l'allume, puis repars illico dans l'autre sens. Mes pieds dévalent les marches de l'escalier aussi vite que si elles étaient en feu. Telle une serveuse, je tiens d'une main l'ordinateur qui repose sur mon avant-bras, jetant un œil au-dessus de mon plateau pour voir où se trouve la prochaine marche.
Au rez-de-chaussée, Soleïane m'attend à la table de la cuisine. Achille et Suzanne rôdent autour, l'air de rien.
Nous attendons tous la même chose. Des réponses.
Arrivant comme une flèche sur la chaise, je prends à peine le temps de m'assoir. Une fesse en dehors de la chaise, je me connecte à ma session et ne laisse pas une seconde de répit au disque dur qui carbure à l'allumage comme un réacteur d'avion. Le navigateur met de longues secondes à réagir et je commence à regretter d'avoir oublié l'échéance. Ce n'est pas comme si ça faisait un an qu'on attendait cela !
J'essaie de respirer calmement en tapant l'adresse internet du site des résultats de l'Éducation Nationale. Je clique avec impatience sur l'onglet concernant les résultats du Brevet des Collèges. Je navigue pour trouver notre académie, notre lycée et enfin, notre initiale. Voilà nos deux noms affichés.
Soumit à l'ordre alphabétique, c'est le mien qui apparaît en premier : « Admis, mention Assez Bien ». Je me refuse toutes réactions tant que je n'ai pas vu le résultat de Sol : « Admis ». Aïe.
Je ne m'attendais pas à avoir de mention mais Soleïane est une bonne élève. Je ne comprends pas. Le fait d'avoir un « admis » simple et sec après la lecture de ma mention, me fait bizarre, comme s'il manquait quelque chose. J'espère que ça ne lui fait pas cette impression.
— Bravo les filles ! Félicitations ! se réjouit Suzanne par-dessus mon épaule.
— C'est bien ! nous confirme Achille en passant derrière nous.
Nous prenons un moment pour consulter les résultats des autres élèves de notre collège. Soleïane se lasse rapidement et monte à l'étage sans un mot, l'air morose. Suzanne m'interroge du regard.
— Elle s'attendait à mieux ? me demande-t-elle.
Je hausse les épaules. D'habitude, c'est elle qui a de meilleures notes que moi.
— Ça n'a pas été une année facile, l'excusai-je.
Achille acquiesce, compréhensif : la constante menace de Georges a dérangé notre concentration toute l'année.
Suzanne fait une petite moue, l'air plus déçue pour Soleïane que celle-ci ne l'est pour elle-même.
— Moi, je n'aurais pas eu de mention si je n'avais pas fait latin, ajoutai-je pour me justifier d'avoir un meilleur résultat. C'est grâce à l'option que j'ai pu avoir des points en plus.
Le visage de Suzanne paraît s'illuminer.
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Enfants des Astres-Livre I : Nomen Omen
Manusia SerigalaAprès l'incendie criminel qui coûte la vie à leur tutrice, Luna et sa jumelle Soleïane doivent faire face à un traumatisme aux étranges conséquences. A l'hôpital, Luna accumule les songes qui hantent son sommeil ; Soleïane, elle, ne semble pas voulo...