Il est tard. Nous sommes tous les quatre affalés devant l'écran cathodique. Les adultes sourient à chaque mimique de Louis de Funès alors que je plonge un peu plus vers le sommeil. Je lutte pour garder les yeux ouverts. Je ne veux plus dormir, pour ne plus voir de loup ; qu'on me laisse tranquille.
J'appréhende demain.
Je finis par m'assoupir sur le canapé, allongée sous les jambes de Sol qui est absorbée par le film. Seules les voix des personnages me parviennent encore. Je perds progressivement le fil de l'intrigue, avant de sombrer complètement.
Peut-être ai-je senti Soleïane se lever du canapé, en passant au-dessus de moi, me faisant émerger une microseconde. La pensée d'aller me coucher dans ma chambre m'effleure brièvement l'esprit. Lorsque je crois pouvoir y répondre, rassemblant assez de volonté pour me réveiller, mes yeux s'ouvrent sur le chalet inondé de soleil. Je bats des cils, chassant le sommeil qui me couve encore, puis me redresse sur mon séant pour constater que j'ai effectivement dormi sur le canapé du salon, toute la nuit.
— Oh pardon, on t'a réveillée ? fait la voix de Suzanne quelque part dans la pièce.
Jetant un œil au-delà du dossier, je tombe sur Achille, attablé devant son petit-déjeuner et encore en pyjama, en train de mordre dans une tranche de pain. Suzanne est confortablement assise à côté de lui, versant du café dans sa tasse, elle aussi en tenue matinale.
— Non, ça va, la rassurai-je. Je n'ai rien entendu.
Je m'empresse de les rejoindre et m'installe avec eux, ayant pour principal objectif de me servir une rasade de vitamines pressées. Le jus d'orange, trop acide, m'oblige à accepter une tartine préparée par Achille. Lorsqu'il me la tend, je plonge sans le vouloir mon regard dans le sien. Dans un flash, je me souviens du tour que mon imagination m'a joué dans le bosquet de menthe.
— Achille, tu faisais quoi comme travail avant ?
Il paraît surpris, par ma question ou par le fait que je m'intéresse à lui, je ne saurais dire. Son visage change rapidement, heureux de partager quelque chose avec moi.
— Eh bien... commence-t-il avant de subitement froncer les sourcils.
Sa réjouissance se trouve mise en déroute par un obstacle qu'il n'avait visiblement pas envisagé.
— Je travaillais dans la police, dit-il avec un sourire.
— Et c'est dans la... police que tu t'es blessé ? demandai-je en prenant une autre bouchée de ma tartine.
— Oui, confirme-t-il avec un mouvement de la tête. Accident du travail, ça arrive. Mais j'y travaille encore quelques fois en tant que consultant, lorsqu'ils ont besoin de moi.
— T'étais dans la police locale ? Comme les agents qui ont embarqué ton neveu, hier ?
— Pas vraiment...
— En parlant de ça, intervient Suzanne alors qu'il allait ajouter quelque chose. Il ne faudrait pas trop qu'on tarde.
Achille acquiesce d'un léger grognement, le nez enfoui dans le bol de café qu'il tente de finir d'une traite.
La discussion de la veille a été peu plaisante, bien qu'instructive. Le garçon aux yeux verts est en fait le neveu d'Achille, connu pour attirer les ennuis comme des mouches. Sa mère, la sœur d'Achille, qui a, depuis la mort de son mari, des problèmes récurrents avec la drogue, vient d'être placée en cure de désintoxe d'urgence, à la suite de l'intervention des policiers — qui voulaient en fait interroger Chris. Il échoit donc à l'oncle et à la tante de prendre ses deux enfants sous leurs ailes d'anges gardiens, et à nous de dire au revoir à la tranquillité bucolique.
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Enfants des Astres-Livre I : Nomen Omen
WilkołakiAprès l'incendie criminel qui coûte la vie à leur tutrice, Luna et sa jumelle Soleïane doivent faire face à un traumatisme aux étranges conséquences. A l'hôpital, Luna accumule les songes qui hantent son sommeil ; Soleïane, elle, ne semble pas voulo...