I. 6

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Lorsque j'ouvre les yeux tout est d'abord noir et gris. Le noir c'est la nuit ; le gris ce sont les cendres qui retombent.

Devant moi et de l'autre côté d'une route, se tiennent des maisons massées les unes à côté des autres, à peine espacées par de la verdure ou des grillages passés d'âge.

Je reconnais ces bâtisses car je reconnais cette rue. Je me retourne.

Me voilà devant le reste de ce qui a été mon refuge pendant un temps, environ le tiers de ma vie. Je comprends à présent pourquoi tant de cendres tombent sur mes cheveux. Une légère brise s'est levée sur les restes de l'incendie.

J'observe les murs écroulés, le bois carbonisé. Les vitres sont tombées, les portes, les meubles, il ne reste que le début de l'escalier qui ne mène à aucun étage. Il n'y a qu'une partie de la maison qui a explosé mais le feu a continué le travail.

J'imagine que les pompiers ont fait ce qu'ils pouvaient mais il n'y a plus rien à récupérer ici.

Je contemple le désastre. Me retrouvant une nouvelle fois dans mes souvenirs, je me rappelle à quel point tout ceci a été violent. Je me souviens des cris et des pleurs, du bruit que faisait le feu lorsqu'il dévorait tout, le bruit des poutres et des murs qui cédaient.

Pour moi c'est ce qui se rapproche le plus de ce qu'on pourrait décrire comme étant l'enfer, alors qu'à présent il plane un calme surréaliste à cet endroit.

Tout est plat : pas un bruit, pas un son et un lieu déserté de vie. Il n'y a que le chuchotement de ma respiration qui entache ce silence.

Je m'avance vers ce qui reste de l'escalier lorsque j'entends quelque chose. Je continue. Le bruit se transforme en une suite de sons. Plus j'approche, plus les notes se transforment en une mélodie.

C'est cette musique que Thérèse nous chantait souvent. Elle n'est ni gaie ni triste, ni lente ni entraînante mais elle n'est pas pour autant monotone ni mélancolique.

Cette comptine me rassure, elle me redonne du courage et de l'espoir. Lorsque je l'entends, je sens que je suis en vie, je sais que je compte pour quelqu'un. Ce n'est pas le genre de chanson qui vous pince le cœur dès que vous l'entendez parce que vous y avez un de vos plus beaux souvenirs associé. Non, cette mélodie libère votre cœur, le laisse s'ouvrir.

Elle est pleine d'émotions et de sentiments : au moment où vous l'entendez, vous savez que ce ne sont pas les vôtres mais vous sentez dès la première note qu'elle signifie quelque chose, qu'elle est importante.

Elle n'a ni titre ni paroles, c'est ce qui la rend si belle et si unique. Profonde et puissante dès son début, ce n'est pourtant là qu'une partie que j'entends. Je reconnais aussi cette voix mais je ne peux y croire.

Je contourne l'escalier et trouve Soleïane assise par terre, les genoux au milieu du bois brûlé et des cendres. Elle ne fait pas attention à moi, ne me voit même pas. Un léger chantonnement s'échappe de sa bouche fermée comme si de rien n'était.

Son attention est portée sur ses mains car elle est en train d'essayer de rassembler, à l'aide d'un ruban adhésif, les morceaux d'une boîte en porcelaine. Je m'accroupis devant elle.

Je suis un instant ses mouvements, retrouvant sa grâce naturelle et sa délicatesse innée. Je suis si heureuse d'enfin la voir.

- Sol ? l'appelai-je d'une voix tendre.

Elle s'arrête soudain de chanter et lève la tête vers moi, souriante. Ses yeux scintillent de vie.

- Je suis contente que tu viennes me voir.

Enfants des Astres-Livre I : Nomen OmenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant